Émile Loubon, peintre provençal du XIXe siècle, est considéré comme étant l’un des principaux représentants de l’école provençale de peinture. Loubon était connu pour ses paysages, ses scènes rurales et ses représentations de la vie quotidienne en Provence. Il capturait avec talent la beauté des paysages provençaux, en mettant l’accent sur les couleurs vives et la luminosité caractéristique de la région. Ses peintures étaient souvent empreintes d’un fort sentiment de réalisme et de sincérité, reflétant la simplicité de la vie rurale et l’authenticité de la culture provençale. Loubon a joué un rôle important dans la promotion de l’art provençal. Son travail a contribué à la reconnaissance de la peinture provençale en tant que genre à part entière. A nouveau, Nathalie Gineste nous raconte de manière savoureuse la vie de ce peintre dont l’héritage artistique continue d’influencer et d’inspirer les artistes de la région provençale. La rédaction
J’ai ouvert pour la première fois mes yeux le 12 janvier 1809 à Aix en Provence. Ce merveilleux ciel bleu provençal et l’éclat éblouissant du soleil resteront à jamais gravé dans ma mémoire jusqu’à mes derniers instants. Mon père est négociant à Aix en Provence. Il est fier d’avoir un fils et souhaite que je fasse des études de droit pour être au sommet de la bourgeoisie qu’il côtoie.
Malheureusement pour lui, mon goût pour le dessin me rattrape et je m’inscris à des cours avec Jean Antoine Constantin(1), François Marius Granet(2) et Louis Mathurin Clérian(3).
Je vous avoue que le plus marquant pour ma sensibilité d’artiste est la découverte de l’Italie.
Rome ! Quelle merveille !
Elle est surnommée La ville éternelle.
A 20 ans, je la découvre avec mon professeur Monsieur Granet lors d’un voyage d’étude. Je suis sidéré par son architecture. Et encore plus, quand j’aperçois la beauté de sa campagne et de son ciel. J’exprime mon ressenti et j’immortalise les campagnes italiennes par un tableau que j’intitule : « souvenir de campagne de Rome ». Je suis bien loin de mes premiers dessins à caractère religieux.
Maintenant, j’excelle dans le dessin en plein air et j’en profite. Je respire, hume cette chaleur et ce petit air qui frôle ma joue. Mes yeux sont remplis d’oliviers et de cyprès. Cette omniprésence de tous ces tons bleus me fascine. Et toujours cette lumière éclatante qui me suit partout !
Contre l’avis familial, je reste deux ans à Rome. Eh oui, j’ai mon petit caractère bien trempé.
Paysage d’Italie, Emile Loubon
A mon retour en France, je monte à Paris comme la plupart des peintres de cette époque. Je rencontre des peintres comme Alexandre-Gabriel Decamps, Constant Troyon et Thomas Couture. Je n’hésite pas à fréquenter les principaux ateliers d’artistes paysagistes de l’époque et me lie d’une étrange amitié avec Roqueplan, Descamps et Troyon. Grâce à eux, je parfais mes paysages provençaux et me perds dans la vie nocturne parisienne. Je passe des heures en admiration devant Camille Roqueplan en discutant avec un verre à la main. Le matin, je rejoins la bande à Manet au café Guerbois. Mais, je ne suis pas comme tout le monde et je prends le temps de boire mon café en échangeant des idées destinées à moderniser le paysage provençal.
En 1833, à ma grande surprise, j’obtiens une médaille de troisième au Salon et c’est ainsi que Thomas Couture m’ouvre son atelier pour que nous réalisions un torse de lépreux. Ce tableau est destiné à l’église Saint Jean de Malte d’Aix en Provence. Je ne peux pas refuser. Il s’agit de ma ville natale, non de non !
Paris ne cesse de me sourire.
En effet, en 1835, j’expose au Salon « Troupeau descendant les Alpes » qui rencontre un fort succès.
Troupeau en marche, Emile Loubon (Paris, salon de 1852)
La Halte du voyageur, Emile Loubon
Le col de la Gineste, Émile Loubon
Mon œuvre est ainsi remarquée, car elle se démarque par le fait que tout est mouvement.
Mais, chut ! C’est ma caractéristique, ma signature, ma marque de fabrique…
Dans ma composition, le mouvement est donné par des arabesques. Je ne m’arrête pas là. Je décide d’affiner ma vision provençale. J’arrive donc à démontrer que l’art n’est pas le résultat d’une manifestation inconsciente de l’âme humaine comme le montrent les impressionnistes. Ma touche de peinture est rude et âpre. Je considère que ma technique est comme le présent et l’avenir. Les fonds symbolisent le passé qui s’enfuit dans un lointain à jamais perdu. Les bords inférieurs de la toile semblent vouloir s’élargir comme pour laisser entrevoir l’avenir. Dix ans plus tard, je reçois une commande du Ministère de l’Intérieur qui se concrétise par une toile « Le Panorama de Martigues ».
Je suis enfin tranquille !
Paysage provençal, Émile Loubon
Mais cela ne dura pas. Mon père ruiné me rappelle auprès de lui. Notre famille est très solidaire dans ces moments difficiles. Mon oncle, adjoint à l’Ecole des Beaux-Arts de Marseille me prend sous son aile et me fait nommer à la direction de l’école pratique de dessin de Marseille.
Pendant 20 ans, je me consacre à la peinture de paysage et à l’enseignement du dessin. Pour moi, le dessin, c’est comme une orthographe de la forme où l’on s’applique sans cesse. J’éduque les jeunes artistes à la nature et les poussent dans cette voie bienveillante. Le sentiment est affiné et perfectionné. Eh oui ! Cela ne s’apprend pas ! On canalise cette hypersensibilité. Je suscite l’admiration de mes élèves. Me sentant des ailes pousser, je décide de fonder le premier salon du Cercle des amis des arts où je réunis plus de 200 tableaux dont des œuvres d’Eugène Delacroix, Camille Corot et Prosper Marilhat. Mes valises m’appellent. Comme tous mes confrères, je suis attiré par l’Orient et décide d’y partir quelques temps pour puiser des sujets d’inspiration. J’effectue quelques vues de Nazareth. Mais ma Provence natale me manque et je ne reste pas longtemps dans cet effet de mode de l’orientalisme.
J’obtiens la Légion d’honneur pour mon exposition à l’Exposition universelle.
Avant tout, je me revendique peintre provençal et fier de l’être ! Je n’hésite pas à montrer au tout Paris mes paysages de Marseille comme Aygalades où le souci du détail en employant de grands formats est flagrant. Je fais ma notoriété progressivement. Mes élèves exposent leurs toiles en confrontation avec celles de mes amis parisiens : Corot, Rousseau, Harpigies, Millet et bien d’autres orientalistes.
Vue de Marseille prise des Aygalades un jour de marché (1853), 140 x 240 cm, musée de Beaux-Arts de Marseille .
Paris vient à Marseille ! Quel exploit !
Je suis le maître et la Provence est l’atelier. Il faut inciter la curiosité à l’égard de la nature sauvage… la vraie nature. Il n’y a pas que moi qui donne une image d’une Provence idéalisée, mais nous avons plein d’adeptes : Marius Engalière, Auguste Augier, Paul Guigou, Prosper Gresy, Adolphe Montcelli… et surtout Frédéric Mistral, notre grand félibre(4). Ils représentent la région de Martigues et de Cassis. C’est l’intérieur des terres : les garrigues, les étangs, la chaleur du mistral, la végétation des cyprès et des oliviers. Nous sommes devant une Provence dominée par une lumière omniprésente. C’est le pays des tons bleus.
Après l’été 1870, pour fuir la guerre, Cézanne vient s’installer à l’Estaque, banlieue de Marseille. Il y trouve un soleil effrayant où les objets deviennent des silhouettes en bleu, en rouge, en brun et en violet. C’est le contraire du modelé !
Ouf ! C’est l’Estaque de la jeune génération expressionniste qui débarque : Braque, Derain et Dufy, puis Marquet.
Et mon ami Van Gogh ! Il me fait rire. Il veut recréer une école à Arles. Mais nous sommes plus fort, n’est-ce pas ?
Les Lavandières, Emile Loubon
L’été arrivé, je décide de prendre un peu de repos. Au bord de la mer, je croise mon ancien modèle : Isménie Constance Massy. Une poupée à vous couper le souffle. L’ovale de son visage est parfait. C’est un rayon de soleil. Elle est plus jeune que moi. Nous avons 7 ans d’écart. Je suis toujours amoureux d’elle. Mais cette fois-ci, elle ne va pas me passer sous le nez et je lui déclare ma flamme. Elle est très belle, mais très caractérielle. Elle porte bien son prénom. Depuis notre mariage, nos scènes de ménage se multiplient. Pourtant, en disant oui le 6 octobre 1852, je n’aurais jamais cru que ma vie basculerait. C’est une enfant gâtée avec tous les caprices qui s’y doivent. Mais je craque et lui cède tout. Je sais, je ne devrais pas…
Une tache sombre apparaît dans ce tableau de bonheur. La maladie me ronge petit à petit. Ce satané cancer détruit mes intestins et me fait détester cette couleur bleue. D’ailleurs, j’en ai marre du bleu. Je le salis et il devient un gris bleu ou brun bleu. Je le détruis comme ce que me fait le cancer. Je deviens aigri. Je ne me reconnais pas.
J’ose dire « j’ai toujours été exploité par la société et il n’est forme que l’on n’ait employé pour me soutirer quelques-unes de mes œuvres ou quelques-uns de mes dessins, me mettant à contribution pour un décor ou pour composer un travestissement. »
Après de longues années de luttes, le cancer prend le dessus le 3 mai 1863.
J’aurais préféré être enterré à Aix, mais malheureusement je finis par reposer au cimetière Saint Pierre, à Marseille. Mes élèves dont Marius Guindon réalisent un marbre sur ma tombe représentant une palette de peintre avec des pinceaux, ainsi que mon buste.
Je repose en paix, car je sais que grâce à moi, la conception du paysage en plein air à pris une autre dimension. Mon ancien élève, le peintre Raphaël Ponson sera inhumé dans la même partie du cimetière que moi.
Vous voyez jusqu’où peut aller l’admiration d’un élève envers son professeur !
Je reste le fondateur de l’école provençale.
(1)Jean-Antoine Constantin (1756-1844), élève de David de Marseille. Directeur de l’école de dessin d’Aix-en-Provence,
(2) François Marius Granet (1775-1849), Conservateur au musée du Louvre et au château de Versailles, il est officier de la Légion d’honneur et chevalier de l’Ordre de Saint-Michel
(3) Directeur de l’école de dessin d’Aix.
(4) Poète de langue d’oc