Vous réveillez-vous chaque nuit entre 1h et 3h du matin ? C’est la période du foie, disent les spécialistes. Ou entre 3h et 5 h ? C’est la période du poumon, les heures des potentielles crises d’asthme…affirment ces spécialistes. Pourquoi a-t-on faim à telle ou telle heure ? Ou pourquoi les plantes fleurissent-elles à des périodes déterminées ? Rythme circadien est la réponse. Fariboles ? Non chronobiologie ! Notre journaliste scientifique nous fournit quelques explications.
La rédaction
La chronobiologie est une discipline scientifique à part entière reconnue. Il est vrai qu’elle a connu un essor très important au cours de ces dernières décennies, grâce aux progrès des techniques de mesure et d’analyse des données. Elle étudie les rythmes biologiques des êtres vivants et leur influence sur la santé. Cette discipline a permis de découvrir de nombreux mécanismes de régulation des horloges internes, responsables de l’adaptation de l’organisme aux cycles du jour et de la nuit. Elle a du reste aussi permis d’évaluer les conséquences du dérèglement de ces horloges sur le sommeil, le métabolisme, le système cardiovasculaire, le système immunitaire, etc.
Stockholm, lundi 2 octobre 2017
Le prix Nobel de médecine est attribué à trois généticiens américains dont l’étude de l’horloge biologique éclaire l’adaptation du corps au cycle du jour et de la nuit, les troubles du sommeil et leurs effets sur la santé. Jeffrey C. Hall, Michael Rosbash et Michael W. Young sont récompensés pour leurs découvertes des mécanismes moléculaires qui règlent le rythme circadien. « Les découvertes de ces trois généticiens expliquent comment les plantes, les animaux et les êtres humains adaptent leur rythme biologique pour qu’il se synchronise avec les révolutions de la Terre autour du soleil » a précisé le jury du prix Nobel. De 24 heures chez l’homme, le rythme circadien est l’une des fonctions vitales primordiales des êtres vivants multicellulaires : de fait, il régule le sommeil, mais pas seulement, car il agit aussi sur les comportements alimentaires, la pression artérielle, la température corporelle, la production d’hormones, etc.
La génétique est importante
Dans toutes les parutions et recherches sur la chronobiologie que j’ai eues en mains, on ne mentionne que très rarement le gène clock. Pourtant c’est un gène essentiel qui code pour une protéine impliquée dans la régulation de l’horloge circadienne. C’est Fred Turek, un professeur de neurobiologie à l’université Northwestern, aux États-Unis, qui l’a découvert en 1994. Le gène clock est exprimé dans de nombreux tissus périphériques, mais aussi dans une région du cerveau appelée le noyau suprachiasmatique (NSC) [1], considéré comme étant le chef d’orchestre de l’horloge circadienne. Le NSC reçoit des signaux lumineux provenant de la rétine, qui lui permettent de se synchroniser avec le cycle jour-nuit. Le NSC envoie ensuite des signaux aux autres horloges périphériques, afin d’harmoniser les rythmes biologiques de l’organisme. Le professeur Turek est un pionnier dans le domaine de la chronobiologie. Sa découverte du gène clock et la compréhension de son rôle dans le contrôle du sommeil et du métabolisme a permis qu’il étudie les effets du vieillissement, du stress, de l’alimentation et du décalage horaire sur l’horloge circadienne et la santé. Il a publié plus de 300 articles scientifiques et a reçu de nombreux prix pour ses travaux.
L’horloge interne
L’horloge interne est donc calibrée par des signaux externes, appelés synchroniseurs ou donneurs de temps. Comme je viens de le faire remarquer ci-dessus, la lumière est le principal synchroniseur qui est captée par les yeux et transmise aux noyaux suprachiasmatiques par une voie nerveuse spéciale.
©Diane Picchiottino
J’ai aussi interviewé le professeur André Mermoud qui nous a confirmé combien la chronobiologie joue un rôle important en ophtalmologie
Remarquez qu’il y a encore d’autres donneurs de temps, notamment l’activité physique, l’alimentation, la température ambiante, etc.
Des applications pratiques
A l’évidence, la chronobiologie a donc aussi des applications pratiques dans différents domaines, telle la chronobiologie nutritionnelle, la chronopharmacologie ou la chronothérapie.
La chronobiologie nutritionnelle
Elle étudie les interactions entre les rythmes biologiques, la nutrition et le métabolisme. Elle vise à optimiser les apports alimentaires en fonction du temps et des besoins de l’organisme. On sait maintenant que le récepteur à l’insuline est plus sensible le matin que le soir, ce qui influence le métabolisme du glucose. Ou que les anti-inflammatoires sont mieux tolérés le soir que le matin, car ils interfèrent moins avec la production de cortisol, une hormone qui suit un rythme circadien. Ou encore qu’un ratio glucides/protides élevé le matin favorise la synthèse de dopamine, un neurotransmetteur impliqué dans la motivation et l’attention, tandis qu’un ratio glucides/protides bas le soir favorise la synthèse de sérotonine.
La chronopharmacologie ou chronothérapie
Comme son nom l’indique, c’est l’application de ces connaissances pour optimiser l’efficacité et la tolérance des médicaments en fonction du moment de la journée. Il existe des moments de la journée dans lesquels les protéines nécessaires à l’absorption d’un médicament par l’organisme sont les plus disponibles, où le foie est plus apte à détoxifier une substance. Le système immunitaire est aussi soumis à des variations circadiennes, ce qui peut affecter la réponse aux infections. La chronopharmacologie vise donc à adapter le moment de l’administration des médicaments au rythme biologique du patient, afin d’en maximiser les bénéfices et d’en minimiser les effets indésirables. C’est ainsi qu’il a été démontré qu’un médicament contre le cancer digestif est cinq fois moins toxique quand il est perfusé autour de 4 h du matin plutôt qu’au milieu de l’après-midi. Les chirurgiens savent aussi que le moment de l’opération cardiaque influence le risque de complications post-opératoires. Les avancées en chronobiologie nous réservent sans doute encore de nombreuses surprises…
Pour aller plus loin : https://www.inserm.fr/dossier/chronobiologie/
[1] Le noyau suprachiasmatique (NSC) est une structure médiane bilatérale du cerveau d’environ 0,5 × 0,1 centimètre comprenant environ 20 000 cellules. Cette structure est située dans l’hypothalamus, juste au-dessus du chiasma optique.