La chronobiologie est une discipline scientifique à part entière reconnue. Notre journaliste scientifique nous a expliqué l’importance du rythme circadien :
Notre magazine a voulu en savoir davantage sur le rythme circadien en relation avec l’ophtalmologie. A nouveau, le professeur au grand cœur, André Mermoud, a reçu notre journaliste scientifique.
La rédaction
YR : Professeur Mermoud, la chronobiologie intéresse-t-elle votre domaine médical de prédilection ?
AM : Oui, la chronobiologie peut être intéressante pour l’ophtalmologie, car elle étudie les effets de l’alternance jour/nuit et de la lumière sur les rythmes biologiques de l’organisme. Or. En l’an 2000, l’Américain Ignacio Provencio, de l’université de Virginie, aux USA, a démontré que ce ne sont pas les cellules photoréceptrices impliquées dans notre vision – à savoir les cônes et bâtonnets – qui sont sollicitées, mais d’autres cellules sensibles. Or, ces cellules ganglionnaires formant une des couches de la rétine renferment justement une protéine sensible aux photons que la science nomme la mélanopsine1. Ces cellules sont impliquées dans la régulation des rythmes circadiens et des réflexes pupillaires, indépendamment de la vision consciente.
©Schéma de l’action de la lumière sur la production de mélatonine
https://journeesuissedusommeil.ch/autour-sommeil/le-rythme-du-sommeil/
YR : Autrement dit, ces cellules de mélanopsine sont impliquées dans la régulation des réponses non-visuelles à la lumière, telles que le réflexe pupillaire, le rythme circadien et l’humeur , n’est-ce pas ?
AM : Tout à fait. L’étude a utilisé des techniques de biologie moléculaire et d’immunohistochimie pour identifier et localiser la mélanopsine dans la rétine humaine. Les auteurs ont montré que la mélanopsine est exprimée par environ 1 à 2% des cellules ganglionnaires, qui forment un réseau dispersé dans la rétine périphérique et centrale. Ils ont également montré que ces cellules sont distinctes des autres types de cellules ganglionnaires recevant des informations des bâtonnets et des cônes, les photorécepteurs responsables de la vision des couleurs et des détails. De ce fait, cette étude a certainement apporté une contribution importante à la compréhension du rôle de la lumière dans la modulation des fonctions physiologiques et comportementales. La sensibilité à la lumière, l’acuité visuelle et la perception des couleurs peuvent varier en fonction de l’heure de la journée. Aussi cette étude a-t-elle ouvert la voie à des recherches ultérieures sur les mécanismes neuronaux qui sous-tendent l’horloge biologique et ses effets sur le sommeil, l’humeur, le métabolisme et d’autres processus.
YR : Je comprends que la mélanopsine joue un rôle important dans l’adaptation de notre organisme aux cycles jour-nuit. Mais quelle est la conclusion ?
AM : Qu’une exposition excessive ou insuffisante à la lumière bleue peut perturber notre rythme circadien et avoir des effets négatifs sur notre santé et notre bien-être. Il est donc conseillé de s’exposer à la lumière naturelle le matin, d’éviter les sources artificielles de lumière bleue le soir (comme les écrans ou les ampoules LED) et surtout de dormir dans l’obscurité complète.
YR : Et la chronobiologie là-dedans ?
AM : C’est simple, la chronobiologie peut aider à comprendre comment la lumière influence la santé oculaire et comment prévenir ou traiter certaines maladies liées à un dérèglement de l’horloge interne, comme le glaucome ou la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Par exemple, des chercheurs ont montré que la pression intraoculaire variait selon le rythme circadien et que le glaucome pouvait être aggravé par un désalignement entre le cycle veille/sommeil et le cycle lumière/obscurité.
Malheureusement pour les patients, peu d’ophtalmologues leur posent la question de savoir s’ils ont un bon sommeil et donc si leurs rythmes circadiens sont bien calés, alors que la science a mis en évidence qu’un lien est parfaitement démontré. Ainsi, un dérèglement de l’horloge interne pourrait altérer la protection de la rétine par la mélatonine et augmenter le risque de DMLA. Par exemple, des chercheurs ont observé que les personnes souffrant d’insomnie avaient un risque plus élevé de développer une DMLA que les personnes ayant un sommeil normal. La chronobiologie pourrait donc offrir de nouvelles pistes pour prévenir ou traiter la DMLA en tenant compte du rythme et de l’exposition lumineuse de chaque patient.
YR : La chronobiologie pourrait donc offrir de nouvelles pistes pour améliorer le diagnostic et le traitement de ces pathologies en tenant compte du rythme de chaque patient. Et vous professeur, le grand spécialiste mondial du glaucome, quelles conclusions en tirez-vous concrètement pour votre spécialité ?
AM : Rappelons une fois de plus que le glaucome est une maladie se caractérisant par une augmentation de la pression intraoculaire. Elle endommage le nerf optique et entraîne une perte progressive de la vision. Or, la pression intraoculaire varie selon le rythme circadien : elle est plus élevée la nuit que le jour. Des études ont montré que le glaucome pouvait être aggravé par un désalignement entre le cycle veille/sommeil et le cycle lumière/obscurité, qui perturbe l’horloge interne et modifie la régulation de la pression intraoculaire.
YR : Voilà qui fera soucis aux personnes travaillant de nuit, chauffeurs, ambulanciers, policiers, infirmières, etc. Sans oublier les perturbations du rythme circadien, telles que celles causées par les changements de fuseau horaire, qui peuvent avoir des effets néfastes sur la santé oculaire, qui peuvent avoir des effets néfastes sur la santé oculaire.
AM : C’est exact. Le sommeil est crucial pour la régénération cellulaire et la réparation de l’œil, en particulier de la cornée. Les travailleurs de nuit ont effectivement davantage de risques de développer un glaucome. Ainsi, la chronobiologie pourrait aider à adapter le traitement du glaucome en fonction du rythme de chaque patient. Mais la chronobiologie peut également influencer le choix du moment optimal pour administrer des traitements ophtalmologiques. L’administration de médicaments en vue de traiter des affections oculaires spécifiques peut être programmée en fonction des rythmes circadiens pour améliorer leur efficacité.
à suivre
Pour aller plus loin : Etienne Challet, directeur de recherche CNRS, à la tête de l’équipe horloges circadiennes et métabolisme de l’Institut des neurosciences cellulaires et intégrantes
in Recherche, le magazine de références scientifiques No 566 (juillet-septembre 2021) pp.42-46