Dans le ballet incessant de notre quotidien, nos yeux sont les spectateurs silencieux, capturant chaque scène. Mais que se passe-t-il lorsque ces « fenêtres de l’ âme » deviennent le théâtre d’une réaction allergique ? La réponse : Irritation et démangeaisons, telles des danseuses égarées dans une chorégraphie chaotique et donc yeux rouges – comme embrasés par des flammes invisibles –. Mais aussi, à coup sûr, larmoiement et brûlures. « Ces symptômes sont les murmures d’une probable conjonctivite oculaire », nous confie le docteur André Mermoud, LA sommité du glaucome. A nouveau, cet éminent ophtalmologue nous en apprend beaucoup sur cette pathologie bien désagréable qui peut tous nous toucher une fois ou l’autre. La rédaction.
Cette allergie des yeux que nous autres, ophtalmologues, appelons conjonctivite oculaire allergique [1] est le plus souvent le fruit d’une rencontre fortuite avec des allergènes dissimulés dans notre environnement. Mes consœurs et confrères allergologues qui sont les gardiens de notre bien-être face aux assauts des allergènes vous en diront bien plus que moi. Ils se consacrent à la compréhension et au traitement d’une scène variée de pathologies, toutes liées à des réactions excessives de notre système immunitaire.
Cela dit, qu’est-ce qu’un allergène ?
Il convient de différencier les allergènes saisonniers des allergènes chroniques, qui n’ont évidemment pas le même impact sur les individus et qui doivent être pris en charge de façon différente. L’allergène est un acteur plutôt invisible. En soi, il est très souvent inoffensif, mais lorsqu’il entre en contact avec nos yeux, il déclenche alors tout une cascade de réactions immunitaires. Cet allergène orchestre une représentation dans laquelle l’inflammation et l’hyperactivité des mastocytes[2] tiennent le tout premier rôle, libérant des substances, telles que l’histamine[3] qui provoquent ces symptômes si caractéristiques. L’allergène peut prendre des formes multiples, extérieurs et intérieurs. A l’extérieur, il peut être un pollen dansant dans un rayon de soleil, des acariens dissimulés dans l’ombre d’un oreiller. Même la caresse d’un animal de compagnie au bout de vos doigts peut devenir un allergène. Une autre cause d’allergie peut provenir de l’effet sur la conjonctive de certains irritants, tels que la fumée de cigarette, de cigare, de certains parfums ou de gaz d’échappement. Idem pour les polluants atmosphériques, tels l’ozone ou les fumées chimiques ou de grands incendies qui sont également de plus en plus mis en évidence dans les réactions allergiques, notamment par leur effet irritant sur les muqueuses des yeux. Il existe aussi des antécédents familiaux de maladie allergique. Des symptômes d’atopie peuvent aussi expliquer certaines pathologies oculaires, tout comme la réaction à des substances présentes dans les lentilles de contact ou les cosmétiques. A l’intérieur, les spores de moisissure, acariens, poussière, et squames sont responsables des formes les plus chroniques de réactions oculaires allergiques.
Les conjonctivites allergiques peuvent aussi être provoquées par des éléments intrusifs, telles les lentilles de contact, leurs solutions nettoyantes ou encore des fils de suture cornéen non retirés après une intervention chirurgicale. Il existe différents niveaux de gravité, et il est possible que le patient développe une prolifération tissulaire sur la conjonctive. L’élimination de l’élément allergène, –lentilles ou fils –, permet alors généralement une récupération immédiate.
Les allergies oculaires sont-elles bégnines ou pas ?
Dans leur majorité, elles sont relativement bénignes. Mais dès les premiers symptômes de réaction allergique, il faut réagir rapidement afin d’éviter toutes complications. Ce qui est paradoxal en matière d’allergies oculaires, c’est qu’elles peuvent être facilement handicapantes et difficiles à traiter. Pourquoi ? Parce que ce qui est difficile à diagnostiquer, c’est bien l’origine de l’allergie et les allergènes mis en cause. D’ailleurs, souvent les allergènes en cause se trouvent dans l’environnement même des patients. Voilà aussi pourquoi seul un ophtalmologue peut poser un diagnostic précis et sait aussi faire la distinction entre une allergie oculaire et une pathologie oculaire beaucoup plus grave.
Et c’est grâce à l’ophtalmoscope que nous pouvons poser un diagnostic exact.
Parfois, des patients qui souffrent d’allergies alimentaires lait, œufs, arachides, noix, soja, fruits de mer, coquillages, blé, gluten, etc. ou qui sont allergiques aux piqûres ou aux injections (piqûres d’insecte ou pénicilline) me demandent s’ils risquent de présenter des symptômes oculaires. En règle générale, les allergies alimentaires n’ont rien à voir avec les allergies oculaires.
Leurs symptômes
Voyez-vous, ils sont variés et peuvent se manifester par des démangeaisons intenses qui sont d’ailleurs très fréquemment le tout premier signe d’une réaction allergique. Vous aurez la sensation qu’un corps étranger est pour ainsi dire coincé dans votre œil, comme s’il y avait des grains de sable dedans. Vous aurez peut-être une rougeur marquée des yeux due à la dilatation des vaisseaux sanguins ou une production excessive de larmes[4] ou vos yeux pourront apparaître gonflés en raison de l’inflammation. Notez que ces symptômes-là sont généralement bénins et ne compromettent pas la vision. Cependant, dans des cas moins fréquents mais plus sévères, comme certaines formes de conjonctivite allergique, ils peuvent être plus perturbants et nécessiter une attention médicale de notre part.
Après les symptômes, le traitement
N’allez pas croire que nous, les ophtalmologues, n’adoptions qu’une seule approche en vue de soulager les symptômes et traiter la cause de l’allergie oculaire. En réalité, nous devons même souvent les combiner. Il s’agit tout d’abord d’évincer l’allergène. Il se peut que des examens spécialisés soient requis afin d’identifier précisément l’origine de l’allergie.
Oui, les collyres, j’y viens…
Plus haut, je vous ai parlé de l’histamine. La deuxième mesure sera donc d’utiliser un collyre antihistaminique. Ces gouttes oculaires aident à contrôler les démangeaisons et la rougeur en bloquant l’histamine. Il est essentiel de choisir un collyre exempt de conservateurs lorsqu’on est confronté à une conjonctivite liée à des réactions allergiques, puisque les conservateurs peuvent eux-mêmes déclencher une allergie. De plus, ces substances peuvent s’avérer nocives pour la surface oculaire, risquant d’exacerber l’irritation. Les collyres anti-inflammatoires peuvent inclure des corticoïdes pour réduire l’inflammation. Nous ne les utilisons toutefois que pour de brèves périodes en raison de leurs possibles effets secondaires. Nous utilisons aussi des larmes artificielles qui peuvent aider à rincer les allergènes des yeux. Ces larmes soulagent à la fois la sécheresse de l’œil et l’irritation.
Rappelez-vous, la règle d’or pour des yeux en bonne santé
Traitez-les comme un trésor que même des mains de pirate ne devraient jamais toucher sans avoir été lavées soigneusement au préalable ! Autrement dit de manière moins poétique, adoptez une bonne hygiène oculaire ! Si vous vous maquillez, utilisez des cotons propres et du matériel désinfecté et, surtout, en cas de crise, ne vous maquillez pas !
Si vous utilisez des verres de contact, suivez scrupuleusement les consignes de votre ophtalmologue. Au besoin, placez des compresses trempées d’eau froide sur vos yeux fermés. Lorsque vous êtes en voiture, évitez les courants d’air tout comme à l’intérieur de votre habitat, fuyez la climatisation. Sachez que les corticoïdes en pommade ophtalmique ou en collyre sont très efficaces pour apaiser les crises d’hypersensibilité oculaire. Toutefois, une mauvaise identification de l’allergie ou une utilisation excessive de ces médicaments pourrait entraîner des complications sérieuses, telles que le glaucome, l’herpès ou la cataracte.
Y a-t-il beaucoup plus d’allergies oculaires en Afrique ?
Oui, beaucoup plus qu’en Europe ! D’ailleurs, la Fondation Vision for all à laquelle je me consacre aide aussi à soigner les populations autochtones africaines qui en sont frappées. Mais qu’est-ce qui explique qu’il y ait beaucoup plus de cas d’allergie oculaire sur ce continent africain ? Eh bien, voyez-vous, les régions chaudes et sèches, comme certaines parties de l’Afrique, connaissent fréquemment des niveaux plus élevés de poussière (bourrasques de sables, etc.) et de pollens, qui sont des déclencheurs courants d’allergies.
Il y a davantage de pollution atmosphérique. L’accès limité aux soins de santé et aux traitements joue également un rôle dans la prévalence et la gestion des allergies oculaires.
Ne confondez pas la conjonctivite allergique avec celle d’origine bactérienne ou virale. La bactérienne est souvent causée par le staphylocoque ou le streptocoque, tandis que celle d’origine virale est souvent provoquée par des virus comme l’adénovirus ou l’herpès. Les conjonctivites infectieuses sont contagieuses. Il importe donc de maintenir une bonne hygiène des mains et d’éviter de partager des objets personnels comme notamment les serviettes. En Suisse, par exemple, les conjonctivites d’origine bactériennes ou virales sont plus fréquentes qu’en Afrique.
à suivre
[1] Voir remarque à la fin de mon article.
[2] Les mastocytes sont des cellules du système immunitaire présentes dans les tissus conjonctifs.
[3] L’histamine est une molécule impliquée notamment dans les processus allergiques à manifestation immédiate. C’est elle qui est responsable des principaux symptômes de l’allergie.
[4] Qui peuvent être claires et aqueuses.