Le mystérieux tableau – épisode 2 – Le reflet d’une mutation évolutive… 

Tableau abstrait avec une silhouette de femme en arrière plan
©Jr Korpa

Voici le 2e épisode du mystérieux tableau présenté par notre experte en arts Nathalie Gineste. L’avènement des femmes peintres au 19e siècle est un véritable phénomène historique et surtout culturel témoignant de l’émancipation de la femme, mais pas seulement. En effet, il s’agit essentiellement de la reconnaissance des femmes artistes à une époque où l’univers de l’art était pratiquement totalement dominé par les hommes. La rédaction.  

Retrouvez l’épisode 1 du mystérieux tableau :

1847, Montpellier  

Jules Didier, Portrait de Jules Laurens en habit syrien, Carpentras, musée Comtadin-Duplessis.

Cette exposition de peinture est un vrai succès. Jules Laurens attire du monde autour de lui. Ses périples plaisent. On dirait des mouches autour d’un pot de miel.

La Mosquée bleue à Tauris (1872), Montpellier, musée Fabre

Cette exposition de peinture est un vrai succès. Jules Laurens attire du monde autour de lui. Ses périples plaisent. On dirait des mouches autour d’un pot de miel.

La Mosquée bleue à Tauris (1872) par Jules Laurens, Montpellier, musée Fabre

L’exposition s’achève enfin. Mais, je réserve une grande surprise lors de la prochaine… 

Un an plus tard, à la même heure et même lieu… 

Je rigole de voir le comte Philippe d’Adhémar, jeune capitaine de cavalerie à l’allure fière. Il ne jure que par Montpellier où il est né en 1822. Je l’observe en admiration devant la toile nous représentant tous les trois, tel des mousquetaires effarés. Cela me fait sourire.  

C’est un bel homme, toujours très élégant. Mais il dégage une odeur particulière de tabac et de note florale, très gênante à mon goût. Nos regards se croisent et il fait quelques pas en notre direction. Nom de nom ! Il ose me déranger en grande discussion avec mes acolytes Gustave Courbet et Alfred Bruyas

Mon cher Loubon, comment allez-vous ? dit le comte en me saluant. 

Bien, merci ! 

Portrait du marquis de Nattes par François Xavier Fabre
Portrait du marquis de Nattes par François Xavier Fabre

Nous échangeons quelques mots sur l’oppression que nous impose les écoles des Beaux-arts. Il n’a pas l’air comme ça, mais c’est un amateur d’art très averti et toujours présent parmi le jury du Salon de peinture de Montpellier. C’est le directeur des Ecoles de sculpture, d’architecture et de dessin. Mon concurrent en quelque sorte ! On dit qu’il est très ami avec le comte de Nattes, directeur du Musée.

D’ailleurs, je ne le vois plus. Il a dû sortir fumer son cigare cubain. Je déteste l’odeur des cigares cubains ! Mais, j’avoue que cela donne un air d’insurgé. 

Quel académisme écrasant ! C’est une vraie dictature, me clame le comte d’Adhémar.  

Vous vous rendez compte que les enseignements artistiques ne correspondent plus à la réalité ! m’exclamant fortement et immobilisant ainsi le public. 

Je sens mon visage devenir rouge de colère contenue. Quelle est notre réalité ?  

Nous voulons des courants novateurs. Et on y arrivera de manière décalée. 

Adieu l’académisme ! prône Bruyas. À bas la hiérarchie des genres et la primauté du dessin sur la couleur. Il ne faut pas oublier que la couleur est présente dans la nature. Redonnons sa place à la couleur ! Nom de Dieu ! Pas une seconde place, mais une première place. 

Je m’efforce, ce jour-là d’expliquer à mes compatriotes qu’il faut privilégier le travail en extérieur, dans la nature et non le travail en atelier. Les couleurs, les odeurs prennent vie et sens dans leur environnement. Régulièrement au petit matin, je pars avec mon chevalet dans la garrigue et j’y respire les bonnes odeurs de thym, de romarin… et là, je me sens prêt à poser mon chevalet et retranscrire sur la toile posée dessus, toutes ces lumières et couleurs éclatantes qui réveillent tous mes sens. Les académismes considèrent cela comme des toiles non finies. Il n’y a pas de honte à montrer une œuvre inachevée. Je vous l’avoue : je suis un prédicateur ! 

Emile Loubon, un artiste engagé auprès des artistes féministes 

Photographie d'Hubertine Auclert écrivant à son bureau

 «  Restreindre le droit à l’égard de la femme, c’est restreindre le droit de l’humanité ; c’est amoindrir le droit de l’homme. »

Hubertine Auclert

1863, Paris 

Je ne me doute pas que s’est ma dernière année sur cette terre. Le mal me ronge… C’est aussi l’année de la réforme des Beaux-Arts.  

Carte postale vintage de l'école des Beaux-Arts à Montpellier
Tableau d'Édouard Manet-Le_Déjeuner sur l'herbe

Le salon et son jury sont en crise.  Eh oui ! Un salon se forme : « le salon des refusés ». Cela me fait bien rire. On y découvre l’œuvre scandaleuse de mon confrère Edouard Manet, « Le déjeuner sur l’herbe ».

Je m’évertue à organiser des réunions clandestines avec mes camarades artistes parisiens et méditerranéens pour débattre sur l’utilité de cet académisme environnant et étouffant. La révolution est en marche. 

Lors d’une de ces nuits secrètes, nous attendons les derniers retardataires lorsque nous entendons frapper à la porte. 

Une jeune femme ouvre la porte. Un frisson parcourt mon corps. Son visage dégage de la douceur. Elle s’avance d’un pas décidé.  

Quelle femme ! Sûre d’elle !  Habillée d’une robe noire et d’une coiffure en chignon. Elle s’approche de moi. J’ai mes jambes qui tremblent et le feu aux joues.  

Ses yeux clairs me foudroient. Ses lèves fines et pincées me lancent un léger sourire. 16 ans nous séparent. Je ne suis qu’un petit jeunot pour elle.  

Bonjour ! Hélène Bertaux, affirme-t-elle. Mais on m’appelle Madame Léon Bertaux. Vous avez dû entendre parler de moi, n’est-ce pas ? 

Euh… fais-je tout penaud et intimidé. 

De fines boucles d’oreilles pendent en forme de gouttes d’eau. Malgré son culot, elle dégage une forme de préciosité et de délicatesse.  

Hélène Bertaux travaillant au modèle de la fontaine Herbet, photographiée par Étienne Carjat en 1864,
Paris, Bibliothèque nationale de France

Plaque avec le nom d'Hélène Bertaux
Plaque avec le nom d’Hélène Bertaux
Portrait d'Hélène Bertaux qui travaille sur sa fontaine Herbet

Mais oui, dis-je, je me souviensà Montpellier ? ou Paris ? ou Marseille peut-être ? 

Madame Léon Bertaux ! Sacré petit bout de femme. Tout le monde sait qu’elle est séparée de son époux Auguste Allédit. Selon les ragots, elle s’est bien vite remise dans les bras de son nouveau compagnon Léon Bertaux. Quel scandale ! N’oublions pas que le divorce est interdit. Bah ! Elle pourra l’épouser une fois son mari décédé, comme toutes les femmes de nos jours.  

Je me surprends à lui faire la conversation. 

Les femmes peuvent être aussi talentueuses que les hommes, lance-t-elle en me narguant. 

D’accord, d’accord, je suis favorable à l’émancipation des femmes, dis-je en susurrant, car je ne veux pas paraître ridicule. 

Monsieur Loubon, je dois vous expliquer que j’ai le projet de créer une société de femmes artistes. Elles ont du mal à se faire connaître. L’accès aux études de l’art ne leur est pas facile et est surtout  très coûteux. Oui, j’ose m’affirmer en disant « je veux associer les talents naissants et les talents déjà reconnus de la gente féminine ». 

Tombé sous son charme, je décide de l’aider financièrement pour l’acquisition d’un immeuble. Surtout qu’il est parfait pour faire de vastes ateliers et y donner des cours de sculpture. Ainsi naît l’atelier de Madame Bertaux sur l’avenue de Villiers dans le 17ème arrondissement de Paris. De surcroit, elle a une demande de plus en plus importante. Il faut dire que dans cette rue il y a de nombreux ateliers d’artistes. 

Un immeuble parisien du 17ème arrondissement de Paris pouvant abriter un atelier d'artiste
Exemple d’immeuble construit à cette époque et servant d’atelier d’artiste

Toutes ces charmantes élèves qui s’activent comme une véritable fourmilière. C’est une visionnaire. Hé oui ! Elle a raison ! C’est le réveil des femmes qui commence. 

Des presses féminines et engagées se développent comme la Citoyenne, la Fronde, Femina… grâce à elles, un nouveau salon prend forme.

Marguerite Durand, fondatrice du journal La Fronde et première Une, le 1er janvier 1898 - Gallica-BnF / Wikipedia
Marguerite Durand, fondatrice du journal La Fronde et première Une, le 1er janvier 1898 – Gallica-BnF / Wikipedia

Il est sans jury de sélection pour promouvoir les travaux des membres de son association féministe (Union des femmes peintres et sculpteurs : UFPS) auprès d’un plus grand public avec les prix. 

Quelques jours plus tard, je suis pensif et assis sur un banc lorsque j’aperçois quatre charmantes femmes au loin. Elles se rapprochent de moi. Je distingue parmi elles Madame Bertaux. J’avoue que nous nous rencontrons régulièrement dans le plus grand secret et dans une certaine intimité. Mais bon. Restons discret et mystérieux à ce sujet. Je ne veux pas lui causer du tort. 

Oh ! Bonjour cher Émile. Je te présente mes 3 amies qui m’aident dans mon aventure : Virginie Demont-Breton, Louise Catherine Breslau et Laure de Châtillon

Enchanté Mesdames, dis-je. 

Je suis ébloui devant toutes ces femmes qui mènent un combat pour leur intégration à l’école des Beaux-arts de Paris et participer au concours du prix de Rome.  

Vous vous rendez compte la baronne Nathaniel de Rothschild et Rosa Bonheur acceptent de devenir membre de l’association de ma chère Madame Bertaux.  

Portrait de Rosa Bonheur - 1898
Huile sur toile de Anna Elizabeth Klumpke
Portrait de Rosa Bonheur – 1898 Huile sur toile de Anna Elizabeth Klumpke

Vous savez quoi ? Je suis sûr que son association sera reconnue d’utilité publique. Elle ira loin, cette fille… jusqu’aux Etats-Unis d’Amérique ! 

Le premier Congrès international du droit des femmes, se tient sous la IIIe République, en 1878. 

Eventail qui revendique le Droit de vote pour les femmes
Vote des femmes, 26 avril-3 mai 1914, organisé par Le journal

A suivre, l’épisode 3 :

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