A nouveau, le premier épisode de la beauté d’Hélène a enthousiasmé des milliers de lecteurs et lectrices, à telle enseigne que d’aucuns nous ont demandé d’avancer la parution du 2e épisode. A notre avis, cette nouvelle est encore plus surprenante que la première intitulée « L’artiste » et c’est donc bien volontiers que nous exauçons le souhait de nos fidèles lecteurs. Rappelons que c’’est la rédaction qui s’est derechef chargée de choisir les images et les sons pour accompagner cette fabuleuse nouvelle. Nous vous souhaitons beaucoup de plaisir à la lecture de ce chef-d’œuvre. La rédaction
Voici le 1er épisode pour celles ou ceux qui l’aurait manqué
Je n’ignorais pas que K. était très sollicité. Mais mes amis me laissèrent entendre qu’ils en faisaient leur affaire. L’idée de voir Hélène immortalisée par K. m’enchantait. La pensée que son image si pure et la grâce de ses gestes, fixées à jamais par le pinceau d’un artiste de génie, combleraient encore les générations futures alors que nous serions depuis longtemps devenus poussière, moins que poussière, me fascinait.
Je revis K. le lendemain. Sans doute nos amis communs avaient-ils déjà tâté le terrain auprès de lui en ce qui concernait le portrait d’Hélène. Il ne chercha pas à me parler en particulier, mais plus d’une fois, me retournant à l’improviste, je vis son regard fixé sur moi d’une façon curieuse. Je dis curieuse, à défaut de pouvoir cerner plus précisément l’impression que me fit ce regard trop lucide où je crus lire à la fois un peu d’ironie et une certaine interrogation. Je ne comprends que trop bien sa signification aujourd’hui, mais alors je ne pouvais deviner que K. me jaugeait, comme un médecin qui se demande avant une opération salutaire, si son patient sera de taille à supporter, puis à survivre. Et s’il est digne du risque qu’il va prendre.
Ma tournée de concerts m’emmenant en Espagne.
Il fut alors décidé que les séances de pose, – si K. acceptait le projet– , auraient lieu lors de mes prochains concerts dans la région rhénane, six mois plus tard.
Hélène ne connaissait pas l’Espagne. Elle aima aussitôt ce pays, son folklore, ses danses, ses guitaristes.
Hélène aimait la danse espagnole et surtout le flamenco !
Son entrain, la joie qu’elle prenait à ses découvertes me comblaient de bonheur. Je voulus l’accompagner moi-même au Prado. Mais, ce jour-là, une migraine l’obligea à rester à l’hôtel. J’avais le vague sentiment que ce n’était qu’un prétexte car elle ne paraissait nullement fatiguée. J’étais un peu déçu, car je m’étais réjoui de lui montrer les Velasquez et surtout les Zurbaran et les Goya.
Je partis donc seul revoir le Prado.
J’imaginais le plaisir qu’auraient les visiteurs à trouver, plus tard, dans un musée célèbre, le portrait d’Hélène par K. En même temps, je revoyais brusquement braqué sur moi le regard perçant du peintre. Cela m’arrivait de temps à autre, une fois même sur scène, au moment où j’allais attaquer une sonate de Beethoven. Chaque fois j’en ressentais un indéfinissable malaise. Puis je n’y pensais plus.
Quand je revins à l’hôtel, je retrouvai ma femme très excitée. Sa migraine, m’expliqua-t-elle, l’avait brusquement quittée après un moment de repos, et elle avait couru les bazars madrilènes. Elle en avait rapporté une moisson d’achats dont elle jouissait avec une joie enfantine. Il y avait là, éparpillés sur la table et sur le lit, des capes, des éventails, des castagnettes, des poignards et des cuirs de Tolède et toutes sortes de souvenirs dont la valeur ne sautait pas aux yeux. Mais le plaisir qu’elle y prenait m’émouvait.
Je lui montrai les deux reproductions de la Maja de Goya que j’avais achetées pour elle.
— La trouves-tu plus belle que moi ? demanda-t-elle en désignant la Maja desnuda.
— Avoue qu’elle est fort gracieuse, fis-je pour la taquiner.
Hélène se mit à se déshabiller pour me prouver sur l’heure qu’elle supportait la comparaison. Mais Goya et sa Maja furent assez vite oubliés et nous fîmes l’amour avec bonheur.
Par la suite, les Gitans andalous touchèrent Hélène plus vivement que les Grecos de Tolède. J’avoue que je lui fis voir ceux-là par surprise, sans lui dire où nous allions, de crainte d’une migraine subite.
J’écris cela non sans ironie, maintenant. Mais à Tolède, j’étais toujours prêt à excuser le manque de chaleur d’Hélène devant les toiles mystiques du grand Crétois. Cela est trop loin de sa sensibilité de jeune femme, me disais-je.
Et je pensais aussi, je le confesse sans honte qu’une Hélène trop attirée par le mysticisme du Greco, n’aurait peut-être pas su donner à nos nuits espagnoles le piquant qu’elles eurent.
J’excusais ainsi toutes ses faiblesses.
A suivre …