Le comte de Grandvaux ne nous avait jamais révélé qu’il écrivait aussi des nouvelles.
Le grand cachotier. Nous vous en proposons une encore totalement inédite. Et qui vous changera un peu de celles de Romain Goldron. Ce récit a-t-il aussi un caractère biographique ? Allez savoir, le comte est plutôt discret sur sa vie privée. La rédaction
Je me prénomme François. Elle, c’était Magali. Pour moi, c’était déjà un sublime prénom.
Ah, Magali !
Ton prénom m’évoquait la Provence. Tout en toi sentait la Provence : la lavande, la bonne chaleur du soleil, le miel ! Et ton accent chantant… quel délice. J’avais tout juste quarante ans. Un âge où, pour nous, – les hommes –, la femme dispose encore d’un immense pouvoir de séduction. Depuis longtemps, Marcel Pagnol n’était plus mon modèle, car à cet âge-là, plus n’est besoin d’en avoir un. Pourtant, je relisais régulièrement ses œuvres et, comme je le dis souvent à mes plus jeunes pairs, en relisant de bonnes œuvres, on y trouve fréquemment de nouvelles subtilités qui nous avaient échappé en première lecture.
Pour moi, Magali était ma Manon des Sources
https://www.youtube.com/watch?v=J-j4rdpzND0
Avant Magali, j’avais bien évidemment connu (au sens biblique du mot) quelques femmes et un bien malheureux divorce. Il en découle que l’on commence alors à s’intéresser aussi à autre chose qu’à sa propre, simple et bien précieuse existence, fût-elle amoureuse ou non. Chez moi, naissait une sorte d’ébauche de spiritualité. Ajoutées à ma soif de savoir, les découvertes musicales, historiques et géographiques me tenaient en haleine. Du temps de Magali, où que je me trouvais sans elle, je fermais les yeux et d’emblée j’avais Magali devant moi.
C’est un 22 juillet que je fis la connaissance de Magali. J’avais quitté Bombay (aujourd’hui Mumbai) pour Marseille l’avant-veille. A l’époque, il fallait presque deux jours pour faire le trajet. La capitale de l’État indien du Maharashtra comptait déjà 10 millions d’habitants, ce qui en faisait déjà la ville la plus peuplée de l’Inde. Inutile de dire que cette ville était et est encore caractérisée par une intense diversité sociale et culturelle où chez les femmes de la haute société de l’Inde la mode était une affaire aussi suivie qu’en Europe. Mais évidemment selon un paradigme totalement différent. C’est entre la capitale française et Marseille que j’allais m’en rendre compte.
Il y avait quelques mois que j’avais quitté Pari une femme de la bonne société indienne que je tentais d’aimer. Pari qui signifie en hindi « beauté, fée, ange » portait bien son prénom quant à son physique. Si « indécise, fluctuante, incertaine, indéfinie, indéterminée » avait existé comme prénom, elle l’aurait encore mieux porté.
Il faut savoir qu’en Asie et particulièrement en Inde, les interactions entre les femmes de la haute société et les Européens sont extrêmement complexes. Moultes facteurs historiques, culturels et sociaux influençaient – et influencent sans doute encore aujourd’hui – les rapports que nous voulions entretenir avec elles. L’histoire coloniale britannique avant tout avec l’Inde a laissé des traces indélébiles. Même si nous n’avions rien à voir avec les sujets de l’empire britannique, nous, Européens étions considérés dans certains milieux comme des représentants d’une ancienne puissance coloniale. En dépit des souhaits de Gandhi, l’Inde a encore et toujours une structure de classe sociale extrêmement complexe. D’ailleurs, les femmes de la haute société appartiennent souvent à des cercles sociaux restreints et privilégiés. Les systèmes dogmatiques et de caste empêchaient généralement que des couples se créent. Bien sûr, il y a de nombreuses exceptions, mais ce n’était pas mon cas. Cet immense pays impose des normes sociales et des traditions profondément ancrées. Ainsi les femmes de la haute société sont-elles souvent soumises à des attentes strictes en matière de comportement,
de vêtements et de relations interpersonnelles.
Et puis, ne nous voilons pas la face. Les familles indiennes jouent un rôle central dans la vie de leurs membres. Les femmes de la haute société sont assez souvent soumises à des pressions familiales pour maintenir leur statut social. Elles épousent généralement des partenaires choisis par leur famille. Très souvent, les Européens sont perçus comme des partenaires incompatibles avec les attentes familiales. Si j’avais alors un bon revenu, il était bien entendu incomparable avec celui du plus pauvre des maharadjas.
Pari avait mis tant d’hésitations à me dire oui que je m’en étais lassé. J’avais fini par accepter cette situation. Quand bien même les événements puissent paraître difficiles à surmonter, leur acception donne presque toujours des résultats exceptionnels. Je m’étais alors concentré sur mon travail intellectuel de consultant. Alors n’aurait-il pas fallu s’approcher de femmes d’autres milieux ? Kamathipura –zone de lumière rouge avec ses innombrables bordels – ne m’intéressait pas. Mais je n’allais pas jusqu’à bouder Bandra West, le quartier branché de Mumbai abritant restaurants, bars et magasins célèbres. Comme j’avais peu ou prou décidé de quitter l’Inde pour rentrer en Europe, j’évitais toutefois d’y fréquenter ses bars où s’engageaient de nombreuses européennes en quête de divertissement et de détente. Colaba[1] m’attirait davantage.
Mais j’évitais soigneusement Malabar Hill[2] où demeurait Pari.
Nhava Sheva, le premier port d’Inde en trafic de conteneurs se situe de l’autre côté de la Thane Creek. Il se situe donc pratiquementen face de Mumbay à une bonne cinquantaine de kilomètres.
A n’importe quelle heure de la journée ou de la nuit, on y trouvait à mon époque des transitaires qui s’occupaient du transport de vos effets dans un conteneur jusqu’à Marseille. Ce qui allait surtout me permettre de voyager léger. Mes effets allaient mettre cinq à six semaines pour être livrés au port de Marseille.
Le jour de la Sainte Magali
J’avais quitté mon hôtel à Paris assez tôt le matin du 22 juillet. Il ne faisait pas très beau à Paname lorsque je pris ma place réservée dans le TGV à la gare de Lyon à destination de Marseille gare de Saint-Charles. J’avais déjà remarqué un très, très grand changement de la tenue vestimentaire de ces dames. Les rue de Paris étaient marquées par des tendances ma fois assez audacieuses. Moi qui en Inde ne voyais que des jupes extrêmement longues et des vêtements très amples cachant toute forme du corps humain de la femme, je vis soudain s’échapper enfin les courbes des femmes. Un petit miracle pour l’homme en moi qui admirait toujours les belles silhouettes féminines. Il semblait que l’ère des tailles basse et des nombrils apparents avait sonné. Ainsi, les pantalons de ces jeunettes flirtaient allègrement – non ! il fallait plutôt dire ostensiblement –, avec les lignes pubiennes. Les tops et blouses dévoilaient souvent l’intégralité du ventre, mettant en valeur des nombrils. Nombrils de plus ornés de piercings diamantés. Je vis des jeans évasés au délavage sablé, et le comble : des minirobes d’été sur des jeans ! Pendant les 3 heures et demie de temps que dura mon voyage en TGV mes yeux eurent dès lors amplement l’habitude de saisir toutes les différences vestimentaires d’un continent à l’autre.
Je vis soudain une jeune femme qui semblait m’attendre. Ce ne fut pas son style vestimentaire qui me déconcerta. J’avais eu amplement le temps de me faire à ce style d’habillement durant le voyage en train. Mais son étrange ressemblance avec Pari faillit me clouer sur place.
Cette jeune femme allait s’avérer être l’éblouissante Magali !
à suivre
[1] Colaba est le quartier historique de Mumbai, non seulement renommé pour ses somptueuses demeures du 9e siècle, mais aussi pour ses monuments anciens et surtout ses musées (ndlr).
[2] Malabar Hill est l’un des quartiers les plus luxueux de Mumbai. On y trouve de bâtiments somptueux et des demeures des plus impressionnantes.