Notre professeur au grand cœur est un grand voyageur devant l’Eternel. Cette fois-ci, à peine revenu du Congrès international sur la chirurgie du glaucome à Abou Dhabi et d’un autre au Caire, tous deux tenus en avril, il nous raconte comme d’accoutumée et à sa manière si plaisante comment il vit sa spécialité : l’ophtalmologie. Ses réflexions empreintes d’humanisme extériorisent une profonde compassion pour tous ceux qui souffrent de maladies des yeux. Il exprime un souhait sincère d’améliorer leur condition humaine. La rédaction
Participer à des congrès mondiaux d’ophtalmologie est aussi mouvementé qu’une course de montagne dans nos Alpes. Imaginez-vous : des conférences marathon, des ateliers de travail intenses, et des discussions qui s’enchaînent comme des dominos. C’est un peu comme si au tout début, on se lançait dans un labyrinthe avec un GPS ultra-capricieux. Mais finalement, c’est là que des idées brillantes se rencontrent et que les neurones des participants font la fête ! Vous êtes alors dans un formidable tourbillon d’idées nouvelles.
Le programme du congrès d’Abou Dhabi comprenait des sessions didactiques, des discussions interactives, des vidéos, des ateliers pratiques et des présentations de cas. Nous avons eu l’occasion d’apprendre des techniques de pointe et d’échanger des idées avec nos consœurs et nos confrères. Laissez-moi aussi saluer la légendaire hospitalité émiratie ! Les congrès réunissent la communauté ophtalmologique mondiale en vue de façonner l’avenir de la vue des humains.
Les congrès se tiennent n’importe où dans le monde. Il s’agit alors aussi de se fondre dans la culture locale.
Les faucons ont une signification culturelle profonde aux Émirats Arabes Unis. Ils sont considérés comme des symboles de prestige et de noblesse. Ils représentent la force, la puissance et la bravoure. Autrefois, la fauconnerie était pratiquée par les cheikhs et les familles royales. Posséder et dresser des faucons était un signe de statut élevé. Ils symbolisent la beauté sauvage du désert et la connexion entre l’homme et la nature. Aux Émirats arabes unis, ils incarnent une riche tradition et une fierté culturelle profonde.
Qu’avons-nous discuté à Abou Dhabi ?
Dans mes articles précédents je vous ai laissé entendre que la chirurgie du glaucome a fait d’immense progrès
Elle a surtout été enrichie par l’arrivée de nouvelles techniques regroupés sous le nom de MIGS. L’objectif principal de l’acronyme anglais (minimally invasive glaucoma surgery) est de permettre une baisse de la pression intraoculaire (PIO) tout en limitant les risques de complications associées à la réalisation d’une chirurgie filtrante classique. J’entends par là une sclérectomie profonde non perforante ou trabéculectomie. Elle réduit la PIO en augmentant l’élimination de l’humeur aqueuse (HA).
Mais si ces nouvelles techniques présentent moins de risque et permettent une récupération visuelle plus rapide qu’avec une chirurgie filtrante classique, elles peuvent aussi parfois être moins efficaces selon le but chirurgical à atteindre. Autrement dit, elles ne sauraient les remplacer purement et simplement, mais elles doivent être choisies judicieusement en fonction du patient et surtout de la sévérité du glaucome.
Les congrès auxquels, nous, les spécialistes participons sont donc importants pour l’évolution des techniques opératoires.
Médecins perturbateurs ou docteurs innovants ?
C’était le thème que la société de médecine ophtalmologie égyptienne m’a demandé de développer à son congrès international du Caire. A mon avis, bien que le terme perturbateur n’aurait pas mon consentement, cet adjectif reflète l’idée d’un médecin qui bouleverse les normes établies. Je préfère quant à moi celle du docteur innovant qui met l’accent sur l’aspect inventif du médecin. Ou encore, tel le titre de mon article, le médecin visionnaire qui suggère que le médecin a une vision audacieuse et novatrice.
Dans le contexte d’une carrière médicale, la disruption fait naturellement référence à la volonté de remettre en question le statu quo et d’embrasser les changements pour créer de nouvelles opportunités. Ne pas craindre de perturber les normes établies et ce pour favoriser l’évolution de la médecine.
Pour mieux comprendre le glaucome et ses traitements…
…remontons un peu en arrière dans le temps. A l’âge des bâtisseurs des pyramides, – période fascinante de l’histoire égyptienne remontant à 2613 à 2181 avant J.C. –, les Egyptiens connaissaient et savaient décrire la cataracte. Mais dans l’Antiquité, l’expression glaucome ou terme similaire selon la langue n’était pas lié à une maladie spécifique, car elle était utilisée plutôt pour décrire un iris de couleur bleu gris, comme celle de l’eau qui stagne, de l’eau glauque1 en quelque sorte… Des uvéites, des infections cornéennes, etc. peuvent en effet changer la couleur de l’iris et/ou de la cornée. A l’époque, on ne le savait pas. Du reste, les Grecs utilisaient le terme « glaukos » signifiant « vert bleuâtre de la mer » en faisant référence à celle de leur port du Pirée. Quant aux peuples nordiques, ils ont presque tous pensé à l’écume verte d’une cascade ou de la mer2
Comparé à la cataracte, le glaucome a donc une histoire infiniment plus récente. Shams-ad-Deen of Cairo, Muhammad ibn Ibrahim Ibn al-Akfani (1274–1348) fut probablement le premier à décrire le glaucome. Il faudra attendre quelques siècles de plus pour comprendre cette pathologie3. Du reste, l’ambiguïté du terme glaucome lui-même a longtemps été un sérieux problème de compréhension pour les patients4. Grâce à l’ophtalmoscope découvert par Hermann Helmholtz, Albrecht von Graefe5 (1828–1870) fut un pionnier prussien de l’ophtalmologie allemand, car il a pu diagnostiquer les pathologies du fond de l’œil (rétine, nerf optique).
Von Graefe a surtout mis fin au dogme de la « maladie incurable » en tentant de comprendre son mécanisme et de traiter sa cause. Vu que d’aucuns prétendent que la chirurgie du glaucome est la plus imprévisible chirurgie ophtalmologique, il y a encore un autre dogme qui court : la trabéculectomie est considérée comme étant l’étalon-or de la chirurgie du glaucome. Mais même avec la meilleure technique opératoire, et une sensation de satisfaction (voir mon commentaire plus loin) chez le chirurgien à la fin de l’opération, le lendemain, la pression intraoculaire (PIO) peut être de 2, 10, 18, voire 45 mm Hg6. Inutile donc de préciser qu’il peut y avoir de nombreuses complications potentielles. C’est ce que j’ai eu l’occasion d’exposer au Caire.
Voilà pourquoi les congrès de médecine sont si importants pour les patients.
La sclérectomie
La chirurgie du glaucome proprement dite débute à la fin du 19ème siècle avec un autre ophtalmologue Louis de Wecker7 et un Autrichien, Ludwig Mauthner qui réalisent les premières sclérectomies. C’est de Wecker qui met en évidence le fait qu’une « cicatrisation sclérale cystoïde » permet la baisse de la pression intraoculaire. Depuis lors, la sclérectomie a fait d’énorme progrès. Nombreux sont mes patients qui me demandent de leur expliquer ce qu’est une sclérectomie. Pour vous, chère lectrice, cher lecteur, voici ce que je puis dire le plus simplement possible. La sclérectomie est une intervention chirurgicale utilisée dans le traitement du glaucome. Elle fait partie des chirurgies filtrantes qui visent à réduire la pression oculaire chez les patients atteints de cette maladie. Avant d’envisager la chirurgie, les médecins prescrivent généralement des collyres pour réduire la pression oculaire. D’autres options incluent le traitement au laser ou l’iridotomie au laser. Cependant, lorsque la pathologie est avancée et que les traitements médicaux ne suffisent pas, la sclérectomie (ou la trabéculectomie8) peut être recommandée. Ces procédures permettent de créer une dérivation pour faciliter l’écoulement du liquide intraoculaire et réduire la pression. Quant à la sclérectomie profonde non perforante (SPNP) elle est une technique plus récente. Elle consiste à créer une soupape ou dérivation de l’humeur aqueuse au sein des tissus oculaires du patient.
La SPNP diffère de la trabéculectomie, car contrairement à elle, elle n’ouvre pas la chambre.
La communication entre chirurgiens pendant les interventions
On n’arrêtera sans doute jamais les progrès de la science médicale. Mais là encore, comme je vous ai déjà exposé, ma mission humanitaire en Afrique et en Inde, consiste aussi à enseigner l’ophtalmologie à la génération montante. Or, nous autres professionnels de la santé, sommes fortement interdépendants et nous travaillons sous une pression temporelle extrême. Or, il est absolument essentiel que notre activité d’équipe fonctionne parfaitement pour garantir un traitement de qualité et la sécurité des patients. Le respect mutuel entre pairs est une condition essentielle en matière de coordination relationnelle. Je veux dire par-là échanger et partager pour se relier dans le but d’intégrer toutes les tâches difficiles à assumer.
à suivre
[1] D’une couleur située entre le vert et le bleu, glaucescente. Il semblerait que l’usage moderne de la langue n’ait retenu que Qui donne une impression de tristesse, de misère. Une atmosphère glauque. [2] En allemand : grüner Star , en norvégien : grønn staer, en danois: grøn staer et en suédois : grön starr [3] Follin E. Leçons sur l’exploration de l’œil et en particulier sur les applications de l’ophtalmoscope au diagnostic des maladies des yeux. Paris, Adrien Delahaye Éditeur, 1863, [4] Spaeth GL. Definitions: what is glaucoma worldwide? In: Shaarawy TM, Sherwood MB, Hitchings RA, Crowston JG (eds). Glaucoma. Elsevier, 2009; I: 293-306. [5] Graefe, Albrecht von (hls-dhs-dss.ch)