«La nature ne nous a pas façonné au hasard avec un certain nombre de dents». Je ne sais plus qui a énoncé ce truisme, mais en tant que médecin-dentiste, je puis le constater jour après jour: la nature fait bien les choses. Rappelons que la dentition définitive chez la plupart des adultes est constituée de 32 dents, soit: 8 incisives, 4 canines, 8 prémolaires, 12 molaires, dont les 4 dents de sagesse qui, elles, font éruption entre 17 et 35 ans. La dentition est considérée complète avec 28 dents lorsque les deuxièmes molaires sont toutes en bouche.
Le rôle des dents
Avant d’aborder notre sujet, il nous faut considérer le rôle important que jouent les dents et là encore, suivant les humains, on peut intervertir l’importance des rôles. Plus que jamais, l’esthétique joue un rôle particulier surtout chez la femme (et de plus en plus chez l’homme également) qui attache une importance au sourire.
C’est ainsi que les dents soutiennent les tissus mous qui les entourent soit les lèvres et les joues. Lorsque des dents sont absentes, l’étage inférieur de la face s’affaisse, c’est-à-dire que la mandibule remonte et s’avance, puis les lèvres s’enfoncent.
Il n’y a pas que dans les pays pauvres, mais aussi en Suisse que vous pourrez constater que c’est-là le profil des personnes âgées indigentes tout à fait édentées. Cet aspect est surtout accentué par la disparition de l’os alvéolaire qui est l’os entourant et maintenant la dent sur l’arcade maxillaire. On peut donc dire que cet os existe par et pour la dent. Malheureusement, il disparaît progressivement lorsque, avec la dent, la stimulation mécanique se dissipe.
Les dents jouent évidemment un très grand rôle dans notre alimentation. En effet, les dents ont pour rôle de sectionner, de mastiquer et de broyer ou encore de déchiqueter les aliments. Ainsi, sectionner, c’est la tâche des incisives, mastiquer des molaires et prémolaires et des canines de broyer.
Enfin, souvent les gens ne pensent pas que les dents ont aussi un rôle à jouer dans la phonétique. Leurs dents, en effet, avec la complicité de leur langue et leurs lèvres permettent de prononcer une kyrielle de phonèmes.
On comprend dès lors pourquoi la perte des dents surtout postérieures n’a pas seulement des répercussions sur le plan esthétique, mais également sur le plan fonctionnel.
La perte d’une dent perturbe la dynamique du système et amorce le processus de chutes futures
Au fond, il y deux conséquences directes, l’une des conséquences qui s’opèrent dans la bouche, l’autre, les conséquences sur la santé générale de la personne. Les dents postérieures se soutiennent entres-elles. Mais lorsqu’une ou plusieurs dents viennent à manquer, les dents adjacentes bougent et migrent alors dans l’espace disponible ayant pour conséquence leur déchaussement. Cette migration combinée au déchaussement qu’elle entraîne mène à une configuration dentaire inappropriée aux moyens d’hygiène. Résultat: inflammation gingivale allant même jusqu’à compromettre la survie, du moins à long terme des autres dents restantes.
Mais ce n’est de loin pas tout. Comme les forces ne sont plus réparties sur les dents perdues du fond, les dents de devant encaissent des charges pour lesquelles elles n’ont vraiment pas été faites. Dès lors, les mouvements quotidiens de votre mâchoire vont fragiliser les dents antérieures. Ainsi, avec le temps, elles vont s’écarter entraînant jusqu’à leur perte éventuelle.
Avec les années, notre capacité d’absorption intestinale des nutriments diminue. Il est d’autant plus important que les aliments soient bien broyés avant de rejoindre l’estomac. Or, avec une perte des dents, notamment postérieures, ils ne le sont pas. La personne aura alors plutôt tendance à avaler tout rond. C’est aussi oublier que lorsque des aliments sont devenus trop compliqués à manger, on n’en dispose plus pour une alimentation bien équilibrée. Il en résulte des carences ou, au contraire, des surcharges en nutriments. D’ailleurs, il a également été prouvé que les signaux que transmettent les dents au cerveau stimulent l’activité cérébrale et qu’en cas de perte de celles-ci, la prédisposition au déclin cognitif augmente et ses manifestations sont plus rapides.
Et le comble des malheurs, c’est que la malnutrition fait partie des principales causes du développement de maladies chroniques. La perte des plusieurs dents, voire de toutes les dents, conduit souvent à une altération du régime alimentaire. Souvent aussi cela cause un risque accru de pathologies cardiovasculaires, de certains cancers et de bien d’autres conséquences systémiques. Bref, les problèmes dentaires non résolus affectent la qualité de vie des personnes qui en souffrent et si cette dégradation est lente, elle n’en est pas moins progressive.
Deux questions importantes
On me demande parfois au cabinet si la perte spontanée de dents naturelles peut éventuellement survenir sans le moindre traumatisme apparent préalable.
Elle est certes commune chez les personnes très âgées, mais tout à fait anormale chez les adultes d’âge moyen, si l’on peut dire. Est-ce uniquement la conséquence d’une mauvaise santé, d’une très mauvaise santé buccodentaire et au surplus généralement liée à une mauvaise hygiène de vie (tabagisme, alcoolisme, dépendance aux drogues) ?
Dans certains pays, ces circonstances sont aussi dues à une situation de pauvreté, assortie fréquemment à une sous-alimentation. On voit donc que les facteurs de risque comprennent de nombreux déterminants environnementaux de la santé bucco-dentaire. J’entends par-là notamment l’intoxication chronique par le mercure (voir mon article Les plombages sont-ils mauvais pour notre santé?).
Voici mon conseil en tant que médecin-dentiste:
Plus le temps s’écoule après la perte d’une dent, plus les procédures en vue de son remplacement sont complexes et ce en raison de la migration des dents adjacentes. Si de nombreuses dents manquent, la mâchoire peut également se déformer et perturber la réhabilitation. Remplacer une dent rapidement après sa perte est gage de sauvegarde des meilleures conditions à long terme.