Un jour ou l’autre, l’étonnante diversité du monde végétal nous a tous émerveillé. Déjà notre éditeur nous avait conseillé de nous émerveiller !
Maintenant, c’est notre inénarrable comte de Grandvaux, revenu de son long périple à l’étranger, qui prend la relève. Mais il n’est pas seul. Annie Cassez a bien voulu lui accorder quelques interviews exclusives pour notre magazine. Voici donc le premier épisode qui pose le décor – végétal – si nous pouvons dire avant d’aborder la vocation de cette artiste bien connue dans l’art et la botanique. La rédaction
CG : Annie, l’art botanique est un genre artistique qui consiste à représenter les plantes avec le plus de fidélité et de précision possible, n’est-ce pas ?
AC : Oui, tout à fait et ce, à des fins scientifiques ou esthétiques. Il se distingue d’ailleurs des autres formes de représentation des fleurs, comme les natures mortes ou les symboles religieux. Ce qu’on lui demande, c’est le souci du détail et de la vérité botanique.
CG : Nous y voilà ! La botanique est la science qui étudie les plantes. Elle a commencé à se développer dans l’Antiquité, avec les travaux de Théophraste, considéré comme étant le père de la botanique.
AC : Elève et successeur d’Aristote au IVe siècle av. J.-C., il est effectivement considéré comme le père de la botanique. Il a écrit deux ouvrages importants sur les plantes : Histoire des plantes et Causes des plantes, où il a décrit et classé environ 500 espèces végétales.
CG : Je connais seulement son ouvrage Les caractères, où il décrit avec beaucoup d’humour et finesse les vices et les travers des hommes. Il est le premier à les classer selon leur trait dominant. Il a composé une trentaine de textes courts où il dépeint des personnages, tel le flatteur, le rustre, le brutal, le superstitieux, l’impudent, le piquant, etc. Il fit donc le portrait des hommes comme toi, Annie, tu fais le portrait des végétaux.
AC : (rire) Je connais des personnes qui ont du piquant comme tu le dis. J’ai dessiné le chardon.
En commun avec les personnes qui ont un caractère acerbe et mordant, le chardon est une plante indésirable qui pousse dans les cultures ou les jardins. Ses feuilles sont piquantes ou présentent des épines. Mais, à l’instar des personnes piquantes, le chardon peut aussi avoir des vertus appréciables.
CG : Théophraste n’a répertorié que 500 plantes. Or, selon une très récente estimation, il y aurait environ 386 000 espèces de plantes dans le monde. Ce nombre inclut les plantes à fleurs, les conifères, les fougères, les mousses et d’autres groupes de plantes. Cependant, il est tout à fait possible qu’il existe encore beaucoup d’espèces de plantes qui n’ont été ni découvertes ni décrites par les scientifiques.
AC : Evidemment, la botanique a grandement évolué au fil des siècles et des millénaires.
CG : Oui, surtout parce que d’innombrables explorateurs et les botanistes qui les ont accompagnés ont ramené des plantes de leurs voyages. Ils ont enrichi la connaissance et la diversité des plantes dans le monde. Il est prévu que la rédaction lance une nouvelle série qui racontera comment la tomate, le maïs, la vanille, le cacao, le tabac, le piment, l’ananas sont arrivés chez nous. Mais aussi des plantes comme le poivre, le girofle, la cannelle, le café, le thé, le magnolia, le camélia, le mimosa, le myrte, etc. Avec la découverte de nouvelles espèces végétales est né l’art botanique dont tu sais nous parler avec brio, puisque qu’après un diplôme d’ethnobotanique appliquée à l’Université de Lille, tu t’es formée à l’illustration botanique.
AC : L’art botanique est une discipline née de l’observation scientifique, l’objectif initial était de représenter le plus fidèlement possible les plantes observées pour remplacer les herbiers trop fragiles et difficiles à conserver. N’oublions pas non plus que les plantes séchées ne gardent pas certains éléments de la plante, telle que la couleur ou le volume, par exemple.
CG : Je t’ai rencontrée en 1988 lorsque tu exposais tes peintures dans une galerie à Genève. Et j’adorais tes huiles. Plus tard, en 2005, j’ai découvert cette toile….
… qui augurait peut-être déjà ton amour des végétaux.
Plus tard, en 2011, tu m’as fait voir
cette magnifique œuvre à l’huile et quand une année après, tu m’as montré des dessins de nus, j’ai réalisé combien tu étais talentueuse.
Pourquoi alors cette bifurcation sur l’art botanique ?
AC : Eh bien, parce que c’était une autre époque. Autrefois, les gens achetaient des tableaux et soutenaient ainsi les artistes. Ces dix dernières années, il est devenu difficile de se faire un nom pour que nos œuvres se vendent à un prix correct. Va savoir pourquoi ?
CG : Je peux éventuellement te répondre pourquoi le grand public n’achète plus de tableaux de peintres peu connus. Vois-tu, le marché de l’art est dominé par quelques acteurs, telles que les maisons de ventes aux enchères, les galeries, les musées, les collectionneurs privés, etc. Tous ces acteurs ont évidemment un immense pouvoir d’influence d’abord sur l’estimation d’une valeur et la diffusion des œuvres d’art.
AC : Oui, bien sûr, le goût du public pour l’art évolue avec le temps. Les courants artistiques du XIXe et du XXe siècle, tel que l’impressionnisme, le cubisme, l’expressionnisme, le surréalisme, etc., ont souvent choqué ou dérouté le public par leur nouveauté ou leur audace. Aujourd’hui, le public est peut-être davantage attiré par d’autres formes d’art. La demande, l’offre, la rareté, la mode et les tendances du marché de l’art peuvent effectivement faire varier le prix d’un tableau selon d’innombrables autant différents qu’imprévisibles paramètres. Voilà pourquoi j’ai changé de paradigme et que je me consacre maintenant totalement à l’art botanique. Là au moins j’évolue !
à suivre
Annie Cassez est membre de l’American Society of Botanical Artists et fellow member de la prestigieuse Society of Botanical Artists (SBA) qui est la plus ancienne et la plus sélective société botanique du monde. Annie Cassez a illustré plusieurs ouvrages dont
Santé et sagesse de la Terre Les fruits oubliés
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