Nous poursuivons l’interview d’André Mermoud, le professeur au grand cœur (cf. https://www.decouverte-mag.com/le-glaucome-comprendre-les-enjeux/
Notre sommité mondiale du glaucome nous a fait découvrir bien d’autres sujets en matière d’ophtalmologie, ainsi les yeux secs, un syndrome très inconfortable (https://www.decouverte-mag.com/yeux-secs-un-syndrome-tres-inconfortable). Les explications du professeur Mermoud au sujet des yeux secs ont évidemment suscité un vif intérêt de la part de nos lecteurs, mais aussi leur contraire (si l’on peut dire) le larmoiement. Yves Rebaud a donc posé pour vous d’autres questions importantes qui n’avaient pas encore pu être abordées, tant le sujet est vaste.
La rédaction
YR : Professeur, les yeux secs sont difficiles à supporter mais existe-t-il son contraire ?
AM : Il n’existe pas de maladie qui soit vraiment exactement le contraire de la maladie des yeux secs, mais des patients peuvent présenter des affections pouvant provoquer une production excessive de larmes.
YR : Avant toute chose, il me semblerait logique de voir les différents types de larmes autres que les larmes émotionnelles provoquées par un état affectif intense, telle que la tristesse, la joie, la peur ou la colère.
AM : Vous avez raison. Il en existe en principe trois. Les larmes basales, qui sont produites en permanence par les glandes lacrymales pour hydrater, lubrifier et protéger la cornée. Elles contiennent de l’eau, des sels minéraux, des lipides, des enzymes et des anticorps. Elles sont étalées par les paupières à chaque clignement des yeux. Puis il y a les larmes réflexes. Celles-ci sont déclenchées par une irritation physique ou chimique de l’œil, comme une poussière, une fumée, un oignon ou une allergie. Elles sont libérées en grande quantité pour nettoyer et protéger l’œil. Elles contiennent plus d’anticorps que les larmes basales pour combattre les agents infectieux. Enfin, il y a le larmoiement que l’on appelle éphiphora.
YR : Et quelle est la cause de l’épiphora ?
AM : Oh, il peut y en avoir plusieurs. Un corps étranger, comme une poussière, un cil ou une lentille de contact, par exemple. Ou une irritation ou une infection de l’œil, comme une conjonctivite, une blépharite ou une kératite. Parfois, il peut s’agir d’une obstruction ou une inflammation des voies lacrymales empêchant l’évacuation normale des larmes vers le nez.
YR : Je suppose qu’il y a encore d’autres causes bien plus importantes, n’est-ce pas ?
AM : Oui, hélas ! Une tumeur ou un polype au niveau de l’œil ou des voies lacrymales ou un trouble neurologique, comme le syndrome de Parinaud (paralysie du regard vers le haut) ou le syndrome de Duane (limitation du mouvement horizontal de l’œil) peuvent en être la cause. Tout comme un traumatisme ou une chirurgie oculaire, telle une plaie, une brûlure ou une opération au laser. Ou encore une anomalie de la position ou du fonctionnement des paupières, comme un entropion (paupière qui se retourne vers l’intérieur), un ectropion (paupière qui se retourne vers l’extérieur) ou un blépharospasme (contraction involontaire des paupières).
YR : Chez les personnes souffrant de larmoiement, certains symptômes et caractéristiques sont tout de même préoccupants, n’est-ce pas ?
AM : Bien sûr. Il convient toujours d’observer les signes avant-coureurs. Par exemple lors d’épisodes répétés et inexpliqués de rougeurs oculaires et de larmoiements. Ou particulièrement lorsqu’on observe une masse dure dans ou près du canal lacrymal.
YR : Un conseil, professeur. Quand faudrait-il alors venir vous consulter ?
AM : Une personne qui présenterait une telle masse dure feraient bien de consulter un ophtalmologue au cours de la semaine suivant son apparition.
YR : Et celles qui sont juste gênées par un larmoiement ?
AM : Dès que possible, évidemment. Remarquez toutefois qu’en général, un délai de plusieurs semaines ne met pas leur vie en danger contrairement aux problèmes en cas de glaucome qui ne souffrent pas d’attendre !
YR : Permettez que l’on revienne au traitement de l’épiphora
AM : Oui, il dépend de sa cause et peut nécessiter des collyres, des antibiotiques, des anti-inflammatoires, des antihistaminiques, des larmes artificielles ou carrément une intervention chirurgicale.
YR : Ouille… c’est si grave que cela ?
AM : Parfois, hélas oui, un acte chirurgical peut tout à fait être indiqué pour le traitement de l’épiphora. Par exemple, dans certains cas où la cause est anatomique ou fonctionnelle et que les traitements médicaux sont inefficaces ou insuffisants. Le choix du type d’intervention dépend évidemment de la cause et de la localisation du problème, ainsi que de l’état général du patient.
YR : Au fond, le but n’est-il pas de rétablir un écoulement normal des larmes et de soulager les symptômes de l’épiphora ?
AM : Justement ! Une intervention chirurgicale peut être proposée par exemple pour dilater ou sonder les voies lacrymales pouvant être obstruées par des débris, des calculs, des membranes ou des tumeurs provoquant une stagnation des larmes et un risque d’infection.
Une intervention permettra de corriger les anomalies du point lacrymal inférieur, qui peut être trop étroit, trop bas ou trop en arrière, empêchant le drainage normal des larmes vers le canal lacrymonasal. Dans d’autres cas, il s’agira de réparer les anomalies de la position ou du fonctionnement des paupières, comme un entropion, un ectropion ou un blépharospasme pouvant irriter l’œil et stimuler la production de larmes. Ou encore de procéder à une dacryocystorhinostomie (DCR).
YR : Voilà bien un mot barbare et qui consiste en quoi, professeur ?
AM : En cas d’obstruction complète du canal nasolacrymal à réaliser une dacryocystorhinostomie (DCR) consistant à créer une nouvelle communication entre le sac lacrymal et la cavité nasale.
YR : Existe-t-il d’autres affections que l’épiphora pouvant provoquer une production excessive de larmes ?
AM : Oui, il y en a d’autres plus ou moins fréquentes. Il peut s’agir d’une une rhinite allergique, qui est une inflammation du nez causée par une réaction à des allergènes comme le pollen, la poussière ou les poils d’animaux. Elle peut s’accompagner d’une conjonctivite allergique.
YR : Une conjonctivite allergique ?
AM : Oui, une inflammation de la membrane recouvrant le blanc de l’œil et l’intérieur des paupières. Mais il peut naturellement aussi s’agir d’une infection des voies respiratoires supérieures, comme un rhume, une grippe ou une sinusite. Ces phénomènes irritent les yeux et stimulent les glandes lacrymales. Une sécheresse oculaire…
YR : Un véritable paradoxe !
AM : Si vous voulez, car la sécheresse oculaire, qui est– rappelons-le – un trouble de la qualité ou de la quantité du film lacrymal qui recouvre la surface de l’œil. Elle est capable de provoquer une véritable sensation de brûlure, de picotements ou de corps étranger dans l’œil. Et du coup, elle va déclencher un réflexe de larmoiement pour tenter de réhydrater l’œil. Ces affections peuvent avoir d’autres symptômes associés au larmoiement, comme une rougeur, une douleur, une sensibilité à la lumière ou une baisse de la vision. Elles nécessitent un examen ophtalmologique et un traitement adapté.
YR : Par exemple ?
AM : Eh bien, notamment un trichiasis, qui est une anomalie des cils qui se dirigent vers l’intérieur et frottent contre la cornée ou la conjonctive, provoquant de cette manière une irritation et une inflammation.
Remarquez que toute affection causant une irritation conjonctivale ou cornéenne, telle une conjonctivite infectieuse, une kératite, un ulcère cornéen, un corps étranger cornéen ou une érosion cornéenne doit absolument être traitée pour le bien du patient.
à suivre