La corrélation entre deux phénomènes signifie qu’ils sont liés. Des scientifiques trouvent souvent des phénomènes corrélés qui, intuitivement, semblent très éloignés. Des prix récompensent parfois ces découvertes. Celui organisé par la revue Annals of Improbable Research est décerné annuellement à des lauréats ayant fait des découvertes improbables et insolites. C’est le prix Ig Nobel (Ig comme ignoble), une parodie sérieuse du prix Nobel, qui récompense des études scientifiques réelles dont les sujets « font rire et réfléchir ». Des lauréats du vrai Nobel assistent à cette cérémonie loufoque qui a lieu à l’université de Harvard.
Le mythe de Narcisse est à revisiter
En 2019, le prix Ig Nobel de médecine a été attribué à des chercheurs italiens ayant établi un lien entre la consommation de pizza et le risque de cancer.
En 2020, des psychologues de l’université de Toronto qui avaient publié dans le très sérieux Journal of Personality ont remporté le prix Ig Nobel de Psychologie pour avoir établi un lien entre le côté narcissique d’une personne et ses sourcils. Ovide – dans ses Métamorphoses – ne nous avait pas dit que c’étaient ses sourcils que contemplait le fils de la nymphe Liriope et du fleuve Céphise quand il voyait son reflet dans la source.
[2] Le Caravage et son mythe de Narcisse
L’idée de l’étude n’est pas nouvelle. La physiognomonie, méthode pseudo-scientifique qui prétend donner des indications sur la personnalité à partir de l’apparence physique est apparue dès l’Antiquité. Datée d’au moins du Ve siècle av. J.-C., elle a prospéré au 19e siècle, notamment en criminologie, et a servi aussi d’argument pour soutenir des thèses racistes, jusqu’au 20e siècle avec l’idéologie nazie et le mythe de la race aryenne. Dans les superstitions populaires, les sourcils sont associés au caractère maléfique d’une personne ou à sa propension à porter malheur et à attirer le mauvais sort, surtout quand les sourcils se rejoignent, signe du « mauvais œil ».
Une vision idyllique de l’amour
L’idylle de proximité de ce couple ne vaut-il pas main dans la main, bouche contre bouche ?
En 2020, l‘Ig Nobel d’Économie fut décerné à des scientifiques qui ont quantifié « la relation entre l’inégalité des revenus nationaux de différents pays avec le nombre moyen de baisers sur la bouche ». Publiée dans Scientific Reports, l’étude montre qu’on s’embrasse davantage dans les pays où les inégalités de revenus sont plus importantes. Le baiser permet peut-être de maintenir la cohésion des couples traversant des épreuves, ou à l’inverse, celles-ci renforcent leurs liens. Vision idyllique de l’amour, que nous offre donc la communauté scientifique, l’image romantique d’un couple affrontant, main dans la main, bouche contre bouche, les épreuves de la vie.
En 2021, l’Ig Nobel d’économie a été attribué à un professeur qui a établi un lien fort entre l’obésité et la corruption politique nationale. L’IMC des politiciens serait un très bon indicateur de la corruption d’un pays. Il faudrait donc pour choisir un gouvernement mesurer les tours de taille, et se méfier de ceux qui prennent de l’embonpoint pendant leur mandat, des fois qu’ils s’engraisseraient honteusement sur le dos des contribuables!
D’autres études ont également fait sensation
D’autres études sans rapport avec le prix Ig Nobel ont également fait sensation. Le mathématicien Tyler Vigen, ancien étudiant de Harvard, a découvert d’étonnantes corrélations, comme celle entre le nombre de suicides par pendaison ou étouffement aux Etats-Unis et les dépenses publiques dans la recherche scientifique. Celle entre le nombre de noyades et les apparitions de Nicolas Cage à l’écran. Celle entre les divorces dans le Maine et la consommation de margarine. Celle entre l’âge de Miss America et le nombre de meurtres. Celle entre la consommation de mozzarelle et le nombre de doctorats en ingénierie civile. Mais aussi celle entre le nombre de morts dans un bateau de pêche et celui des mariages dans le Kentucky. Une plus bizarre est celle entre les importations US de pétrole depuis la Norvège et les morts de conducteurs par collision avec un train. Et également celle entre le nombre de doctorats de mathématiques et la quantité d’uranium stocké dans les centres nucléaires américains. Tous ces phénomènes ne sont pas liés, c’est une certitude (!), et pourtant les mathématiques disent le contraire !
Le chocolat rendrait-il plus intelligent?
Il y a aussi de nombreuses études de corrélations entre les aliments, – bio ou non –, et les risques de maladies. Ou encore la prévention de ces risques, la longévité, la minceur, l’intelligence…Une étude de Franz Messerli de l’université Columbia, publiée en 2012 dans le New England Journal of Medicine, montre une corrélation entre la consommation de chocolat d’un pays et le nombre de ses prix Nobel. Le chocolat rendrait-il plus intelligent?
Une corrélation entre deux phénomènes n’implique pas une relation de causalité entre eux. Ils peuvent, – par exemple –, être corrélés, parce qu’ils sont tous les deux les effets d’une même cause. Ce qui explique la corrélation de Messerli, c’est que dans les pays riches investissant dans la recherche, les habitants ont plus de pouvoir d’achat et peuvent consommer plus de chocolat. L’étude Music Sentiment and Stock Returns Around the World, réalisée par des professeurs de la London Business School et d’Auckland University of Technology, et publiée dans le Journal of Financial Economics d’août 2021, établit un lien entre la musique populaire et les cours boursiers à travers le monde. Cette corrélation est due à l’importance des émotions dans les décisions prises par les investisseurs. On a les exemples ici d’un facteur commun, mais la complexité du monde, et de l’homme, fait que c’est le plus souvent un enchevêtrement inextricable de facteurs qui ensemble créent des corrélations. Comment dans ce cas les déterminer?
Il reste cependant le facteur ultime: le hasard (!). Il n’est pas hasardeux en effet de penser que certaines corrélations ne sont que de simples coïncidences. Mais si ces corrélations sont fortuites, leur découverte ne l’est pas quand elles font l’objet de recherches systématiques. Bien qu’elles soient parfois propres à susciter notre étonnement, ces corrélations ne devraient donc point nous étonner.
[1] NdR : L’auteur est titulaire d’un MBA l’ESSEC Business School, et titulaire d’un doctorat ès sciences de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, à Paris. Il a à son actif des publications dans les cinq continents.
[2] https://www.rts.ch/audio-podcast/2021/audio/l-echelle-de-narcisse-25783403.html