Nos lectrices et lecteurs ont beaucoup apprécié le 1er épisode de Celle qui rougit, nouvelle de Paul Arène, intime de Mistral et de Daudet, entre autres (cf. https://www.decouverte-mag.com/celle-qui-rougit/).
Notre conteur, nouvelliste, voyageur, coureur de guilledou1, ami des pies et surtout des chats – voilà qui enchanterait Aladin le Malin !– était aussi un rêveur. Il y a longtemps que Paul Arène boit le soleil des morts et il a fait ainsi son épitaphe :
Je suis parti, l’âme ravie
D’avoir rêvé ma vie
Pour votre été, nous vous réservons encore bien de belles surprises littéraires !
La rédaction
Heureusement, mon mince bagage se trouva occuper toute la place que l’on m’avait réservée ; et je pus, connaissant l’allure de Colette, l’ânesse, prendre les devants pour trouver plus vite Lauriane, tandis que grand’tante, moitié heureuse, moitié fâchée, essayait en vain de me suivre, criant et fouettant, avec sa voiture à bourrique.
Au bout de l’allée d’ormeaux que précède un colombier tout ensemble rustique et seigneurial, sur le perron de pierre aux marches disjointes, Lauriane attendait : belle, certes ! plus belle cent fois que je ne l’avais rêvée.
Une vierge accomplie au travers de laquelle mes yeux éblouis retrouvaient l’enfant. Blonde toujours, potelée un peu sans que cela fît tort à l’élégance, et svelte en effet comme un lis. Un rêve, une chanson :
Mais Lauriane n’avait du lis que la sveltesse. Je remarquai tristement que son fin visage était rose, et mieux que rose, hélas ! rouge comme les capucines qui, enroulées autour des balustres, semaient les dalles moussues et vertes de leurs pétales effeuillés au vent, rouge comme le ciel de couchant sur lequel le petit manoir profilait la pointe de son unique tourelle.
Ce fut une désillusion, et notre première entrevue s’en ressentit.
Comment, s’écriait la grand ’tante arrivant au trot de Colette, est-ce là des façons nouvelles ? Des cousins qui ne s’embrassent plus !
On s’embrassa ; mais, de ma part du moins, ce fut sans grand enthousiasme.
Vainement j’essayai de me raisonner ; vainement, avant de m’endormir, dans la chambre ronde que décorent des portraits de famille, je voulus comparer le rose de Lauriane à celui de quelques belles dames du temps jadis représentées les cheveux poudrés avec un rond de carmin aux joues. Non ! Pensais-je, il ne sera pas dit que je puisse aimer une fiancée couleur d’aurore !
Et je ne l’aimai point, de parti pris, bien que j’en eusse grande envie. Car Lauriane s’obstina à rester rose tant que dura mon séjour à la Civadière. Elle était rose encore, plus rose que jamais, le jour où des devoirs relativement impérieux m’obligèrent à repartir.
Quand le brûlera-t-on une bonne fois, disait grand ‘tante, ce Paris de malheur qui nous enlève nos garçons ? … Mais tu reviendras l’an prochain, tu reviendras, promets-le-moi, avant que j’aille dormir sous les mauves.
Grand-tante mourut et dort sous les mauves. Je ne revis pas Lauriane.
Un jour, oh ! bien plus tard ! on me rapporta qu’en plaisantant Lauriane avait demandé si son cousin de Champvaillant aimait toujours les femmes pâles. Qui l’avait ainsi renseignée ? Sans doute quelqu’un de mes amis à la suite de confidences comme on en échange ce soir.
Puis un banal papier de faire-part m’apprit qu’elle était mariée, et son image désormais alla peupler le musée mélancolique où s’entassent, année par année, les souvenirs des bonheurs entrevus qu’on dédaigna.
Nous nous rencontrâmes voici quelques mois, chez des parents communs, par hasard, à l’occasion d’un voyage ; et, détail qui me frappa, elle avait le teint pâle comme jadis étant gamine, pâle de cette pâleur chaude et mate au travers de laquelle transparaît la vie.
Je dus me laisser présenter à son mari, je dus caresser ses enfants, et, malgré moi, je ressentis une pointe de jalousie subite et vive, comparable à une sensation de brûlure. Je fis bonne contenance, pourtant. Oui ! je parvins même à sourire quand, souriant elle-même, d’une voix tranquille que rien jamais plus ne troublera, elle me dit :
Vous rappelez-vous la pauvre grand’ tante, et Pouf, le chien, et Colette, l’ânesse, et la Civadière ? Vous rappelez-vous aussi que toutes les fois, en vous voyant, je devenais rouge, si rouge ! Cela faisait mon désespoir, et l’ennui de rougir ainsi me rendait rouge davantage … Peut-être vous aimais-je, mon cousin, comme aiment les petites filles.
Or, maintenant que ces choses sont suffisamment lointaines, serait-il permis de savoir si vous vous en étiez aperçu ?