Personne n’ignore plus qu’il existe un 7e continent. Ce malheureux continent, c’est le continent du plastique, découvert par l’océanographe Charles Moore il a maintenant 27 ans et qui s’étend sur 1,6 million de km2.. Ces plastiques se dégradent lentement en microplastiques, qui sont particulièrement nocifs pour la faune marine. Ce phénomène met en lumière l’importance de réduire notre consommation de plastique et d’améliorer la gestion des déchets pour protéger non seulement nos océans et la biodiversité marine, mais encore nos écosystèmes. Découverte magazine a voulu en savoir davantage et notre reporter, Stefanie Rossier a mené son enquête en interviewant Benoit de Torcy, responsable de The SeaCleaners Swiss
SR : Parlez-nous de The SeaCleaners Swiss. Quelle est son histoire, quels sont ses débuts ?
BDT : The SeaCleaners Swiss est une organisation reconnue d’utilité publique et enregistrée au registre du commerce depuis 2019. Notre organisation œuvre pour la défense des océans et de nos écosystèmes contre la pollution de matières plastiques.
SR : Quel est le but de cette association ?
BDT : Notre mission est de protéger les océans et nos écosystèmes contre la pollution plastique, grâce à la collecte de déchets en mer et en amont (fleuves, rivières, estuaires, ports, mangroves), et grâce à l’étude scientifique de cette pollution. Il s’agit aussi et surtout de prévenir cette pollution en sensibilisant et éduquant toute la population (écoles, universités, entreprise, grand public) sur l’impact de cette pollution plastique à la fois sur l’environnement et la santé humaine.
SR : Quel est l’élément déclencheur qui vous a motivé pour rejoindre The SeaCleaners ?
BDT : A titre personnel, naviguer est une passion. J’ai été confronté à cette pollution plastique, tant en Méditerranée qu’en traversant l’Atlantique. En réalisant de mes propres yeux cette pollution, j’ai décidé de m’engager concrètement en rejoignant The SeaCleaners.
SR : Par quels moyens passez-vous pour sensibiliser les gens à jeter moins de plastique sur le sol ou dans l’eau ?
BDT : Nos missions sont multiples : La collecte, la science, et la sensibilisation/éducation. Cette dernière mission est primordiale si nous souhaitons réduire le problème à la source ! Ainsi, nous allons régulièrement dans les écoles, universités, entreprises, sensibiliser à la problématique de cette pollution plastique. Nous avons développé différents programmes éducatifs à destination de différentes tranches d’âge, afin que tout le monde se sente concerné.
Nous organisons également de nombreux ‘clean-up’. Ces actions concrètes sur le terrain, sont l’une des meilleures manières de sensibiliser les gens à la pollution environnante à laquelle nous sommes confrontés chaque jour. Même si nous sommes un pays reconnu pour sa propreté et que nous faisons tous des efforts pour améliorer notre tri, et notamment nos modes de consommation, de nombreux déchets se retrouvent invariablement dans la Nature – avec un grand N. Ces actions de nettoyage permettent aux participants de prendre conscience réellement de toute cette pollution que nous n’observons pas vraiment au quotidien. Sans avoir de discours activiste, ces actions entraînent invariablement une réelle prise de conscience et une volonté de commencer un changement de comportement personnel.
SR : Pouvez-vous nous donner quelques chiffres sur la pollution plastique ?
BDT : Aujourd’hui, les chiffres sont assez effarants ! La production mondiale de plastique a dépassé les 400 millions de tonnes par années. Cela a plus que doublé depuis 1950 ! La vraie problématique, c’est que seulement une infime partie de cette production est recyclable. Concernant la Suisse, selon les données disponibles provenant d’études et d’extrapolations pour la Suisse, près de 14 000 tonnes de macro plastiques et de micro plastiques sont rejetées chaque année dans les sols, les eaux de surface et leurs sédiments, échappant ainsi aux mécanismes de rétention et à l’élimination. Les principales sources libérant des matières plastiques et leurs apports annuels dans l’environnement suisse sont les suivants :
- L’abrasion des pneus : env. 8’900 tonnes, dont quelque 5’300 tonnes de micro plastiques purs
- Le littering [1] : 2700 tonnes
- La fragmentation de matériaux en plastique, par exemple, lors de la fabrication ou de l’élimination et dans le secteur de la construction : env. 1’100 tonnes
- Les terrains de sport et de jeux, en particulier les terrains de football en gazon synthétique : de 15 à 175 tonnes
- La présence de plastiques dans le compost et les digestats [2] : 100 tonnes
- L’agriculture : de 30 à 1000 tonnes
SR : Que faire pour diminuer cette surconsommation de plastique ? Faudrait-il amender les individus qui jettent le plastique dans l’eau ou sur le sol ?
BDT : Aujourd’hui, la production mondiale de plastique est très importante ! La production mondiale est passée de 1,5 million de tonnes en 1950 à plus de 400 millions de tonnes aujourd’hui. A telle enseigne que nous sommes littéralement envahis de plastique ! Des études internationales estiment que depuis 1950, 9,2 milliards de tonnes de plastique primaire ont été produites dans le monde. Nous devons nous rendre compte que plus de la moitié des matières plastiques ont été fabriquées depuis le fameux l’an 2000. Selon les estimations, cette production pourrait être multipliée par 2 d’ici à l’an 2040. Cependant, – soyons honnêtes ! – tout n’est pas que du « mauvais » plastique.
Pour diminuer la consommation de plastique, nous devons donc commencer par modifier nos habitudes quotidiennes. Bien que les amendes puissent dissuader certains comportements indésirables, elles ne s’attaquent pas aux causes profondes du problème. A mon avis, il serait beaucoup plus efficace de combiner des mesures éducatives, des campagnes de sensibilisation et des incitations positives pour encourager des comportements responsables et surtout durables. Je pense, en effet, que l’éducation, la sensibilisation, la prise de conscience de ce qu’est le plastique (un dérivé du pétrole), ses impacts si importants sur nos océans [3] , Remarquez qu’il a également un impact sur la santé humaine. N’ingurgitons-nous pas l’équivalent d’une carte de crédit de plastique par semaine ? Pensons aussi aux les gaz à effets de serre qui se dégagent tout au long du cycle de vie du plastique. A mon humble avis, aujourd’hui, il y a peu de solutions pour traiter les déchets plastiques. Mais quelles sont les meilleures solutions ? Je ne suis pas trop activiste ni alarmiste, mais ne convient-il pas chacun se rende compte de lui-même de son comportement face à la consommation de matière plastique ? De cette manière, nous pourrions avancer dans le bon sens, sans nous sentir contraints, « taxés », voire amendés.
SR : De quels moyens disposez-vous dans cette lutte pour mettre fin à ce cauchemar ?
BDT : Au-delà des actions locales, il y depuis 1 an, plusieurs cessions avec l’ensemble des pays engagés [4] qui réfléchissent conjointement à l’évolution du cette problématique de matières plastiques. Comment réduire son impact environnemental en s’attaquant à tout le cycle de vie du plastique, de sa conception à son traitement final ? Voilà la problématique ! La 5ème session aura lieu à Busan, en Corée du Sud, d’ici à la fin de 2024. Nous espérions qu’un traité puisse être enfin envisagé pour être ratifié au cours du 1er semestre de 2025. Aux dernières nouvelles, une 6ème session serait en cours de préparation. Nous pouvons et devons donc au quotidien modifier nos modes de consommation. Toujours est-il qu’une décision internationale quant à cette très grande problématique est aujourd’hui urgente !
SR : Comment voyez-vous notre futur avec tout ce plastique autour de nous ? Démoralisant ou encourageant ?
BDT : Joker ! Ce que je pense sincèrement, c’est qu’il faut réussir à « embarquer » tout le monde –entreprises, état, grand public– autour de cette cause universelle qu’est la protection de notre santé et de notre environnement. Nous devons cependant le faire de manière impartiale ou si vous préférez en toute équité. Par ailleurs, le sujet étant trop important, il serait vraiment dommage d’agir trop tardivement !
SR : Nous avons parlé du futur de notre civilisation, mais qu’en est-il des projets à venir de votre association ?
BDT : Nos prochains projets sont assez clairs. Il s’agira d’intensifier cette récolte de déchets en amont de nos océans. Où ? Eh bien dans les endroits les plus pollués de la planète. Soit en Asie du Sud-Est, en Afrique, en Amérique du Sud. Et par quels moyens ? Et bien grâce à nos bateaux de collecte ou alors de manières différentes. Il conviendra d’intensifier la recherche scientifique pour apporter des réponses importantes quant aux différents impacts de cette pollution. Enfin, nous devrons continuer sans relâche l’éducation et la sensibilisation autour de cette pollution de matière plastique.
SR : Disposez-vous de soutiens financiers ?
BDT : Vous faites bien de poser cette question, car c’est effectivement le nerf de la guerre si je puis dire. Nous avons besoin de soutiens financiers, mais pas seulement voyez-vous. Nous souhaitons aussi pouvoir disposer de personnes qui soient nos ambassadrices, nos ambassadeurs. Pourquoi ? Parce que ces personnes-là pourront ou devront transmettre notre message, Ainsi tant des institutions privées que publiques seront invitées à s’engager pleinement pour nous soutenir efficacement !
SR : Comment s’engager personnellement dans votre association ?
BDT : L’engagement est multiple. Que ce soit par un don, aussi petit fût-il, par du bénévolat dans nos missions, par l’ouverture de réseaux en vue de promouvoir nos projets. Voyez-vous, chaque action a son importance. Il est clair que nous n’y arriverons jamais tout seul !
SR : Une dernière pensée avant de nous quitter ?
Merci d’avoir fait connaître fait The SeaCleaners Swiss à vos nombreuses lectrices et lecteurs de Découverte magazine. J’espère qu’un jour ce cauchemar écologique appartiendra au passé, car il est temps de nous réveiller et d’agir !
[1] Le littering désigne l’abandon sauvage de déchets dans les espaces publics.
[2] Les digestats sont les résidus issus du processus de méthanisation, où des matières organiques sont décomposées par des bactéries en l’absence d’oxygène
[3] Le plastique/micro plastique empêche nos océans d’absorber nos émissions de carbone et de rejeter plus de la moitié de l’O2 que nous respirons,
[4] INC : Intergovernmental Negotiating Committee