Dans un monde saturé de rationalité, d’images à consommer et de certitudes bruyantes, parler d’une présence invisible qui veille —discrètement et efficacement— peut sembler presque subversif. Et pourtant, qu’y a-t-il de plus humain que de ressentir un souffle angélique bienveillant quand tout semble vaciller ? Peut-être que cette « protection angélique » qu’évoque notre contributeur dans un chapitre de son futur livre ‘ Never give up ! N’abandonne jamais !’n’a pas besoin d’être prouvée pour exister. Pas besoin d’ailes pour cela ! Juste une ouverture suffisante à l’invisible, à ce qui ne se mesure pas…. Lorsque le docteur André Mermoud nous a révélé un de ses passages, le comte de Grandvaux – qui était présent– a décidé de vous présenter bientôt un nouvel article qu’il intitulera « Et si les anges n’avaient plus d’ailes ? Nous publions ici une version fortement résumée de cet épisode émouvant de notre cher professeur au grand cœur, actuellement en mission humanitaire en Afrique. La rédaction

C’était en 1981. A l’époque, j’étais encore étudiant de médecine en quatrième année et j’avais accepté de faire un stage en Inde dans une léproserie. Un ami étudiant de la volée d’avant m’en avait fait l’éloge. Ma fiancée Marianne et moi avons entrepris un voyage à destination de Salur. Salur, nichée dans le district de Vizianagaram, en Andhra Pradesh, est une ville côtière située à environ cent kilomètres à l’ouest de Vizag (Visakhapatnam).
Pour arriver à Salur, il fallait prendre le train à Calcutta à la gare de Howrah. C’est la gare principale de Calcutta et aujourd’hui encore, elle est aussi considérée comme étant l’une des plus grandes gares de l’Asie. Afin de ne pas rater le train, nous étions venus deux jours avant pour réserver les billets et avant de quitter l’hôtel trois heures avant pour ne pas rater le train. Un taxi devait nous mener à la gare. Mais, peu avant d’enjamber le fleuve Hooghly et de passer le pont le pont Rabindra Setu, nommé en hommage à Rabindranath Tagore [16], il y eut un affreux engorgement. Ce pont a une longueur de 457 m, porte 8 voies et écoule chaque jour plus de 80’000 véhicules, d’où les compréhensibles embouteillages.
Le chauffeur du taxi nous dit que nous n’arriverions jamais à l’heure en taxi et qu’il valait beaucoup mieux y aller à pied. D’habitude, traverser ce pont offre une vue sublime. Et côté ouest, sous le pont, se trouve le marché aux fleurs de Malick Ghat proposant constamment un spectacle quasi inoubliable.
Seulement voilà, nous étions en pleine mousson. Nous quittons le taxi et aussitôt nous voilà trempés tous les deux jusqu’aux os. Pas de quoi jubiler ! Nous trainions de lourdes valises et des sacs de voyage. Soudain, bien que nous courions assez rapidement, Marianne et moi, un Indien de taille moyenne à l’aspect d’un mendiant frêle, maigrelet et faible me vola ? me prit ? (Vous verrez plus loin pourquoi je pose ces questions) l’une de mes valises. Il nous dépassa avec une agilité surprenante. Nous avons couru plus d’une demi-heure avec chacun une grosse valise. Mon esprit était en ébullition, mon cerveau tournait à mille à l’heure si je puis dire, car la valise qui m’avait été – semble-t-il a priori dérobée – contenait mes précieux livres de médecine.
Sous une pluie battante, la gare était bondée de personnes cherchant refuge. Entrer dans cette gare semblait une mission impossible. Pourtant, notre mystérieux voleur fendit la foule avec une aisance déconcertante, malgré sa maigreur apparente. La gare, avec sa trentaine de quais, était envahie par une foule dense qui se pressait devant les wagons devant un train interminable. Notre voleur choisit un quai et le longea jusqu’au bout du train, plein de passagers. En Inde, à cette époque, il était impossible de savoir quand un train allait partir.
Nous, de notre côté, ne lâchions pas notre Indien d’une semelle. Arrivé dans le premier wagon, portant la lettre M comme si on voulait nous signifier par- là qu’il s’était produit un petit miracle, il s’est engouffré dans le wagon. Nous l’avons immédiatement suivi. Et là, ô surprise !!! Ma valise de bouquins était posée devant nos sièges. Je demandai à une passagère si nous étions dans le bon train en lui montrant notre billet. Elle me confirma que nous étions au bon endroit et que le porteur avait effectivement déposé ma valise devant mon siège, puis était sorti du compartiment. Il faut vous rendre compte que tout cela ne dura qu’un instant. Et tout de suite après, le train se mit en branle. Le quai mesurait environ 400 m de longueur. Alors que le train roulait encore très lentement j’ai voulu remercier le personnage énigmatique qui aurait pu se trouver dans le couloir. Vers la porte du wagon sise tout près de notre compartiment, il n’y avait plus personne et le quai était totalement vide. Que ce serait-il passé pour nous, les novices des voyages en train en Inde, si cela n’avait pas été le bon train ?
Quand l’incompréhension est si vaste, comment expliquer des choses qui nous dépassent ? C’est alors d’instinct que j’ai considéré que l’homme devenu totalement invisible qui avait porté ma valise sur deux à trois km pendant une bonne demi-heure et nous avait ouvert une formidable brèche dans cette masse fourmillante n’était rien d’autre que mon ange, gardien matérialisé sous la forme physique d’un mendiant. Moralité ? Il faut toujours faire confiance à la vie ! Elle sait faire ce qu’il convient. Mon autre question n’a toujours pas reçu de réponse définitive. Bien que la question de la couleur de la peau des humains me soit parfaitement égale, mon ange gardien serait-il de couleur chocolat au lait ?




