Par Yves Rebaud
A notre époque (2023), le « cancer du béton » est un problème sérieux affectant de très nombreux ouvrages réalisés en béton. Et ce dans le monde entier ! Notre béton nécessite donc des travaux d’inspection, de réparation ou de remplacement coûteux. Pour prévenir ou tout au moins limiter le cancer du béton, il est dès lors important de choisir des matériaux de qualité, de respecter les normes de conception et de construction, et d’assurer un entretien régulier des structures en béton. Pourtant, les œuvres d’art du génie civil romain ont résisté jusqu’à notre ère alors que personne les a entretenus. Nous avons demandé à notre journaliste scientifique de nous révéler pourquoi le béton que les Romains utilisaient tient encore et toujours bon, alors qu’à terme, le nôtre s’effrite.
La rédaction
Le cancer du béton n’est pas un terme scientifique correct. C’est plutôt un terme populaire désignant une dégradation plus ou moins rapide du béton armé ou du béton précontraint causée par la corrosion des armatures métalliques à l’intérieur du béton. Le béton précontraint, lui, est un type de béton qui a été soumis à des forces de compression avant d’être utilisé dans une construction. Le but de cette technique est d’améliorer la résistance du béton face aux sollicitations provoquant des tensions, tels que le poids, le vent, les séismes, etc. Ce type de béton se compose de granulats (sable, gravier, etc.), de ciment et d’armatures métalliques (fils, câbles, barres, etc.) tendues entre des points fixes avant ou après le coulage du béton dit « moderne »
Gênes, 14 août 2018, 11h36… l’horreur !
Le pont Morandi de Gênes, dont la construction a mis 5 ans (1963 -1967), était généralement considéré comme étant un chef-d’œuvre de l’ingénierie. Il présentait néanmoins des défauts de conception. Pourtant, les responsables de la gestion et du contrôle du pont connaissaient les risques depuis des années. Ils n’ont toutefois pas effectué les travaux de rénovation nécessaires. Le 14 août 2018, à 11h36, un tronçon de quelque 250 mètres du pont s’est écroulé sous une pluie battante, entraînant la chute de 43 véhicules et hélas la mort de leurs occupants. Le problème qui a causé l’effondrement du pont de Gênes était la corrosion des armatures métalliques à l’intérieur du béton, qui a affaibli la structure et provoqué des fissures et des éclatements. La corrosion était due à plusieurs facteurs, comme la présence de sel, d’humidité, de dioxyde de carbone ou de réaction alcali-granulat. Il existe plusieurs facteurs qui peuvent provoquer cette corrosion. Il s’agit par exemple de la présence de contaminants, de l’humidité, de sel, de dioxyde de carbone ou de la réaction alcali-granulat. Le cancer du béton se manifeste dès lors par d’importantes fissures, voire par des éclatements. Pourquoi en fait ? Parce que la rouille intervenant sur les armatures dispose d’un volume beaucoup plus conséquent que celui de l’acier et exerce dès lors une pression considérable sur le béton. Il s’ensuit aussi des délaminations. Tous ces défauts intervenant au fil du temps réduisent évidemment la résistance et la durabilité du béton.
La carbonatation
Il faut aussi savoir que la carbonatation du béton est l’un des principaux mécanismes du cancer du béton. Elle se produit lorsque le dioxyde de carbone présent dans l’air réagit avec l’hydroxyde de calcium contenu dans le béton, formant du carbonate de calcium. Ce processus diminue le pH du béton et rend les armatures métalliques beaucoup plus vulnérables à la corrosion. La réaction alcali-granulat est une autre cause possible du cancer du béton. Elle se produit lorsque certains granulats (sables ou graviers) contiennent des minéraux réactifs avec les alcalis (soude ou potasse) présents dans le ciment. Voilà alors qu’une réaction chimique se produit, créant à son tour un gel expansif absorbant l’eau et gonflant. Cette réaction chimique produit alors d’énormes tensions internes dans le béton. Des fissures et des déformations se produisent. D’après mes informateurs, des chercheurs suisses ont réussi à décrypter la structure atomique de ce gel. C’est un cristal inconnu à ce jour, composé de couches de silicium.
Ces notions sont peut-être ennuyeuses pour vous chère amie lectrice, cher ami lecteurs mais elles étaient toutefois nécessaires pour que vous compreniez pourquoi le béton romain a enfin livré ses secrets.
L’exceptionnelle résistance du béton romain
Le béton qui a été utilisé par les Romains en vue de réaliser des ouvrages remarquables, tels les aqueducs, les ponts ou autres ouvrages monumentaux se compose d’un mélange de chaux vive, de cendres volcaniques (pouzzolane) et de sable, parfois encore renforcé par des briques et/ou des pierres. Le béton romain présente des propriétés exceptionnelles de résistance, de durabilité et d’autoréparation, qui le rendent bien supérieur au béton moderne.
©Xuan Nguyen
Le secret : une chaux vive et grasse
Les Romains préparaient une chaux vive. Il s’agissait de chauffer du calcaire dans des fours à une température d’environ 900°C. Il s’ensuivait sa décarbonatation et sa transformation en oxyde de calcium. Les Romains éteignaient la chaux ainsi obtenue avec de l’eau. Cela produisait une pâte appelée chaux grasse. Le béton romain se distingue donc grandement du béton moderne par sa composition chimique et sa microstructure. En effet, le béton romain contient des minéraux rares, comme la tobermorite ou la phillipsite, qui se forment au cours du processus d’hydratation et qui confèrent au matériau une résistance accrue aux agressions chimiques et physiques. De plus, le béton romain présente des fissures très fines et interconnectées, qui permettent à l’eau de circuler et d’apporter des éléments minéraux qui renforcent les zones endommagées. Mais le mélange des éléments avec la chaux vive produisait aussi des clastes de chaux, en carbonate de calcium. Ce sont ces petits éclats blancs dans le béton des Romains qui mirent la puce aux oreilles des chercheurs suisses, italiens et d’une équipe du Massachusetts Institute of Technology (MIT). En effet, l’eau de pluie entrant en contact avec lesdits clastes crée justement une solution entièrement saturée de calcium se cristallisant en carbonate de calcium. Et comme par miracle cette réaction chimique rebouche en deux à trois semaines les failles et des fissures des ouvrages romains.
Mon petit doigt me dit que la commercialisation d’un nouveau type de béton ne saurait tarder et que nos ponts ne s’effondront plus.