Découverte-mag n°14

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Il y a 40 ans, disparaissait le rebelle non-violent

11 mai 2001. Ma vie professionnelle et privée était devenue étouffante. Il fallait absolument que je change de décor. Que je me repose. Les Caraïbes n’avaient plus de secrets pour moi. Par quel mystérieux sortilège me trouvais-je cependant en Jamaïque? Au Sandals Royal Plantation, sur le front de mer d’Ocho Rios, qui venait d’ouvrir.  Je ne saurais plus vous le dire. Sans doute les exquises plages de sable fin aux eaux turquoises qui savent si bien envoûter mon corps et mon âme. Allez savoir, car il y a 20 ans déjà. Surtout que le mois de mai n’était déjà plus la saison idéale pour y séjourner. Mes choix musicaux s’orientaient plutôt vers la musique classique. Pourtant, je n’étais pas ignare à ce point d’avoir zappé l’existence de Bob Marley, né le 6 février 1945, indissociable de la Jamaïque.

Un anniversaire déchirant

Ce jour-là, mon chauffeur m’amena à Nine Miles. Il croyait bien faire. Il convenait, affirmait-il, de visiter le lieu de naissance et de tombeau de LA légende immortelle. C’était la célébration du vingtième anniversaire de son décès. Folklore ou réalité? Je ne sus pas trop quoi dire. A l’évidence, nous n’aurions pas dû être ici.  Des autochtones semaient la pagaille. Les innombrables touristes venus célébrer le Pape du reggae n’étaient plus d’accord de payer les prix exorbitants exigés. D’où une espèce de fureur générale bien loin de la paix et de l’amour prônés par ce mouvement musical. On se serait cru en pleine guerre civile de l’île1. Il fallait au plus vite s’éloigner de cet endroit. Mon chauffeur me fit une confidence: « Sur notre île, Peace and love n’a en réalité jamais existé. C’est un mythe. Autre mythe, la libre consommation de la ganja. Elle y est certes ici cultivée à outrance, mais sa consommation y est punie d’emprisonnement2.  

Nous finîmes par trouver un endroit tranquille à quelques kilomètres de là. Mon chauffeur me laissa dans une très sereine petite auberge. J’y étais le seul whity. Une douce ondée musicale, rythmée comme un battement de cœur, enveloppait cette auberge rustique. A tel point envoutante qu’une étrange torpeur me saisit. Serait-ce sirop à la grenadine qui me met dans cet état second?

« Wa gwaan »

« Wa gwaan, mon frère », entendis-je perceptiblement, mais sans voir personne. On m’avait dit au Sandals que cela signifiait bonjour en rastafari.
– Oui, je suis encore le messager du rastafarisme avec mes interminables nattes de cheveux aussi larges qu’épaisses que l’on dirait des cordages sur ma tête. Pourquoi n’ai-je jamais été comme les autres? Pourquoi mon père, un capitaine blanc quartier-maître de l’armée britannique, Norwal Marley, engrossa-t-il ma mère Cedella, une petite noire de la campagne? Pourquoi sa famille me refusa-t-elle toute affection, bien que mon père l’épousa. Jamais je ne connus mon père. Qu’avais-je fait de mal? Heureusement que j’ai été rejeté à Trench Town3, parce que mon père était un whyti (un sale blanc)  Chez les Britanniques, les Rolling Stones firent un malheur avec Satisfaction. Moi, mon groupe Wailers et les Skatalites firent la même chose ici avec Simmer Down4 Je voulais nous affranchir totalement des modèles désuets. Notre jeunesse devait oublier son passé de misère dans les innombrables ghettos de notre île. Oui, mes chansons étaient une menace pour l’ordre établi. Pourtant, j’ai eu de bonnes relations avec le gouvernement socialiste de Michael Manley. C’est plus tard que cela s’est gâté. Crimes et violences contre lesquels j’ai toujours lutté au moyen de mes chansons resteront sans doute encore longtemps un fléau. Quand la CIA des ricains s’en est mêlée. Et surtout lorsque les cartels américains ont fait main basse sur nos richesses minières5. Alors noble étranger, tout le monde ou presque connaît mon histoire. Tant d’auteurs m’ont dédié des biographies. Tu connais certainement mon musée à Kingston. L’équation de ma musique, c’est reggae = rasta. Le rastafarisme prône la paix intérieure et l’amour de soi, nécessaire avant l’amour de l’autre. Et il faut bien admettre que, ma foi, l’amour des autres, surtout des jolies femmes, je l’ai vénéré en bon rasta que je fus. Mes chéries, je les ai adulées. A 16 ans déjà, je dégageais du charisme. Tellement lors de ma première chanson que Rita6 se lova aussitôt dans mon lit. Alors que voulez-vous…. Souvent, ma vie étant difficile, je perdais espérance en elle et c’est tout le temps au lit avec une nouvelle beauté que je la retrouvais, cette espérance. D’ailleurs, j’ai eu d’innombrables passions amoureuses. Ma femme me donna trois enfants: Cedella, David et Stephen. Pat Williams me donna un garçon, Robbie. Je mis enceinte Janet Hunt qui accoucha de mon fils Rohan. J’ai manifestement un faible pour les Janet et c’est à Londres que ma seconde Janet donna la vie à ma fille Karen. Evidemment, dès que j’ai acquis la célébrité dans le monde entier, rien ne fut plus facile que de séduire d’autres innombrables aimables. En Amérique, je fus l’amant de la petite amie de Marlon Brando. Stephanie a été le fruit de mes amours avec…. attends, je ne sais plus. Avec Lucy Pounder nous avons fait Julian et avec Anita Belnavis nous est né Ky-Mani. Cindy Breakspeare fut incontestablement la plus belles d’entre toutes. Ce fut quand même Miss Monde (excusez du peu). Damian a été le fruit de mon séjour avec elle aux Bahamas. Pourquoi diable les Bahamas? C’est que je fus obligé de m’y réfugier pour ma sécurité. Mes enfants ? Je les ai tous reconnus. Remarquez qu’ils n’auront manqué de rien, car ma production a rapporté bien plus après mon séjour ici, dans l’au-delà, que de mon vivant. J’ai aussi été un joueur de football passionné.

Turn your lights down low7, une des magnifiques chansons de Bob me tira de ma torpeur. Mon chauffeur me sourit et m’invita à rentrer à l’hôtel. Que s’était-il passé… ? Un songe de Bob? D’âme à âme? Je ne le saurais jamais. En tout cas, ce ne fut pas la fumette. Je n’y ai jamais touché. Pas le moindre pétard… Pas la moindre addiction? Si. Quand même. Le yaourt mocca au bifidus!

Pour en savoir plus: https://www.bobmarleyfoundation.org/

Reggae et mouvement rasta, voir toutelaculture.com/musique/94967

Suivez la conférence du 30 juin 2017 à l’Ecole des chartes sur les archives du Négus secrètement conservées dans le Vieux Palais de Ménélik à Addis Abeba depuis la chute du Négus dans le cadre du programme de recherche Ghebbi  https://www.youtube.com/watch?v=oHpwMi4tSe8

Ou lisez l’ouvrage captivant du célèbre reporter Ryszard Kapuscinski avide de vérité et qui la découvre effrayante : https://www.babelio.com/livres/Kapuscinski-Le-Negus/291125

jeuneafrique.com, voir article du 28 août 2014 Hailé Sélassié avec portrait interactif Tinklink Oy


1Il y en a eu à plusieurs époques et même entre 2009 et fin mai 2010

2Jusqu’en 2015, même ceux sur qui on en trouvait de petites quantités allaient en prison. Aujourd’hui, la consommation de cannabis y est dépénalisée. L’usage du cannabis médical est permis. Les Rastas peuvent s’en servir pour leurs pratiques religieuses. .

3Un immense ghetto très mal famé de la capitale

4Que l’on pourrait traduire par ‘ On se calme’

5Aluminium, bauxite

6Rita Anderson, chanteuse, devint son épouse et mère de ses trois enfants

7Baisse la lumière (alors qu’on avait pourtant monté la musique dans l’auberge)

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